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Bio(poly)phonie et disparition du son naturel



  • Les théories de Bernie Krause ont été révélées au public en 2007 par la création d'un site Internet et à la suite d'une importante couverture médiatique. Chaque écosystème a un son unique et la pollution par le bruit provoque l'érosion du nombre de ces sons. À quand la disparition du dernier son naturel ?

    Grâce à quelques microphones soigneusement parsemés à travers les écosystèmes les plus reculés de la terre, Bernie Krause a réussi, au cours des quelques 40 dernières années, à enregistrer leurs signatures naturelles. Celles-ci sont constituées d'un ensemble de sons, essentiellement d'origine animale.

    C'est donc sur plus 40 ans que le bioacousticien a pu constater sur le terrain que les sons d'origine humaine ont envahis la nature. Que ce soit par le son ambiant d'une route située à 100 kilomètres d'une aire protégée, par celui d'un avion circulant à 3000 mètres d'altitude ou par ceux, plus cinglants, des quads ou des motoneiges, l'homme entache la pureté des sons naturels.

    Il devient en effet de plus en plus difficile de trouver des lieux qui ne soient pas contaminés par le bruit d'origine humaine. Partout, cette acoustique de la nature est en danger de disparition. Pour Krause, il faut parler d'érosion de la biophonie, un peu comme on parle d'érosion de la biodiversité. La biophonie correspond au " son " de la planète sans la présence humaine. C'est un terme qu'il a enregistré.

    Évoluant de manière similaire aux mouvements de protection du paysage, la protection de la biophonie se pose principalement comme une question de rapport à la nature ; une préoccupation que certains pourraient qualifier d'esthétique. Puisque l'ouïe est l'un des sens que nous utilisons le moins, le rapport que l'on entretien avec les sons de la nature se révèle marquant. Une des premières constatations du citadin qui se retrouve au centre d'une forêt est qu'elle est emplie de bruits. Une deuxième est que chaque bruit semble être à sa place, comme dans une symphonie bien orchestrée. Enfin, la pureté des sons et de leur ordonnancement semblent facilement dérangés par un bruit d'origine humaine. Ces bruits nous apparaissent alors comme une discordance dans cet agencement de sons.

    Pour Krause, il ne s'agit pourtant pas uniquement d'esthétisme. À partir des enregistrements qu'il a effectués (plus de 3500 heures de biophonie), Krause a élaboré une théorie qui devrait prendre plus de place dans les campagnes contre la pollution par le bruit. Plusieurs animaux ont évolués de sorte à s'insérer dans des niches polyphoniques très spécifiques. Il s'agit de niches écologiques que l'on retrouve dans un environnement sonore particulier et qui sont occupées par certaines espèces dans le but de pouvoir être entendues par leurs semblables. Si une espèce ne peut plus retrouver sa niche sonique, elle ne pourra survivre. Le biologiste de renom de l'Université Harvard, Edward O. Wilson, a révélé récemment qu'il avait d'abord supposé que cette théorie relevait d'élucubrations nouvelâgistes ayant peu d'intérêt pour la communauté scientifique mais qu'il s'était trompé, que son hypothèse même méritait attention.

    Armé d'outils d'enregistrement ultra perfectionnés, le bioacousticien a répertorié la signature acoustique de chaque organisme naturel. Une de ses premières hypothèses confirmées a été celle de la niche sonique du géospize olive, une sorte de pinson que l'on retrouve au Venezuela. Krause a observé des volées de ces oiseaux volant sans se poser à travers des " grilles de sons " saturées jusqu'au moment où elles parvenaient à trouver un endroit calme, un endroit où leurs cris ne pouvaient être masqués. Autre observation, les oiseaux fuyant les écosystèmes perturbés qui s'établissent dans un nouvel environnement entrent en compétition sonore avec des espèces nouvelles ce qui affecte leurs chants d'accouplement ou leurs signaux d'avertissement au danger. Les oiseaux observés par Krause qui ne pouvaient trouver une bande de fréquence sonore ne pouvaient se reproduire et avaient généralement du mal à survivre.

    La contamination de la biophonie va-t-elle devenir une problématique environnementale sérieuse ? Pour Krause, c'est déjà le cas. Il y aurait une telle cacophonie dans le monde de la communication animale qu'il est probablement déjà trop tard. La cause identifiée : " l'antropophonie ".

    Aucune publication scientifique soumise à comité de lecture n'est publicisée sur le site Internet très bien documenté du chercheur. En somme, il n'y a encore rien de tangible pour sous-tendre la théorie de la niche sonore. La théorie est d'ailleurs contestée par certains biologistes de l'évolution. Quoiqu'il en soit, elle renferme une vérité inébranlable qui est porteuse d'un message évocateur : la diversité des sons de la nature fait partie d'un tout à protéger, d'une riche bio(poly)phonie qui, par sa beauté, a le potentiel de nous émerveiller et de nous rapprocher de la nature d'avec laquelle nous avons graduellement perdu contact au point de s'en sentir parfois aliénés. Or, comment maintenir l'intégrité de la nature sans se permettre d'en apprécier la beauté et la diversité ?

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