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Des jeunes femmes et hommes à l'école du genre via une activité de transformation du riz : l'expérience du GIE Baamtaré Guédé dans



  • Par Pauline Marie Hélène Ndiaye, responsable de programme à Enda Pronat

     

     

    Enda Pronat est une ONG créée en 1982 et membre du réseau Enda Tiers Monde. Elle travaille dans le développement rural avec une option en agriculture familiale saine et durable (ASD)[1] . Partie d'une sensibilisation sur l'utilisation abusive des pesticides, elle  développe des alternatives à l'usage des engrais et produits chimiques.  Par la suite, son action s'est étendue au foncier, à la transformation puis la commercialisation des produits,  au renforcement organisationnel des fédérations et des femmes, à la participation des femmes aux instances politiques de décision, à la gestion intégrée des terroirs et la protection des ressources naturelles, à la récupération des sols dégradés, etc.

     

    Enda Pronat travaille avec quatre fédérations paysannes dans les Niayes, la vallée du fleuve Sénégal et la zone de Koussanar. Celles-ci sont constituées d'organisations de producteurs-trices ou d'individus qui travaillent dans les domaines cités plus haut.

     

    La fédération Ngatamaré Toro se situe dans la vallée du Fleuve Sénégal, région du Fouta. Elle est partenaire d'Enda Pronat depuis 2006  et rassemble 2 600 membres dont 60% de femmes, regroupés en GIE (Groupement d'Intérêt Economique) de petits producteurs et productrices. Elle a commencé avec la culture du riz ASD et des oignons et, depuis 2012, a entamé une diversification avec  la production de légumes (courge, patate, piment et chou), de  l'arachide, du maïs, de niébé (variété locale de haricot),

     

    Le GIE des jeunes Baamtaré Sukabé Guédé, devenu membre de la fédération en 2010, s'occupe de la transformation du riz ASD produit par les paysan-nes dans les unions locales.  Le GIE a été un des groupes appuyés en matériel et formations dans le cadre du programme "  FSP genre et économie, femmes actrices du développement " cofinancé par le Ministère français des Affaires Etrangères de 2009 à 2011.

     

    Cet article retrace l'évolution du GIE depuis sa création et  ses débuts dans la transformation agroalimentaire, en termes économiques et de genre et ses perspectives en fin de projet.

     


     

    I-              RAPPEL HISTORIQUE

     

    1.1 -  La société poular et Le CHANGEMENT DU ROLE DES FEMMES

     

    Le Fouta est une province " hal poular " fortement islamisée et socialement hiérarchisée. Les jeunes filles y sont données précocement en mariage ce qui, le plus souvent, interrompt leurs études. Lors des entretiens effectués auprès des membres de la fédération sur la place et le rôle de la femme dans la société, nous avons recueilli  les éléments ci-après.

     

    Traditionnellement, le rôle de la femme était au foyer. Elle devait s'occuper de son mari et de ses enfants. Ce rôle traditionnel demeure malgré les mutations en cours. Celles-ci sont liées entre autres à l'ouverture au monde causée par les moyens modernes de communication, à l'éducation des filles, à l'intervention des projets. Les changements se manifestent, pour les femmes, par plus d'affirmation en public (prise de parole, participation aux réunions qui impliquent plus d'absence du foyer), l'allègement des tâches ménagères et l'acquisition de revenus monétaires.

     

    D'après les hommes, les femmes qui ont leurs revenus " achètent pour elles-mêmes " (di diendel bopam dara), " règlent  leurs petites dépenses " (fajj ay soxla yu seew seewam), et " se débrouillent pour les condiments[2]"  après que l'homme  ait donné le riz. Le seul fait de gagner de l'argent ne change pas forcément le statut de la femme, car " l'avoir et les biens de la femme n'échappent pas à l'homme " (am-am u jiggeen, gennul gor gi).

     

    Les femmes considèrent que l'acquisition de revenus permet de "  régler  ses problèmes ", de " ne plus dépendre de tout de son mari ", de " réaliser soi-même  ses désirs " (defal sa bopp ligay yootu). Certaines arrivent à couvrir des dépenses quotidiennes mais aussi à investir, par exemple en achetant du bétail. Cependant, on note parfois une certaine redevabilité au mari qui autorise à mener des activités. C'est pourquoi, certaines " ne l'oublient pas dans les revenus ".Ceux-ci sont cependant principalement destinés à couvrir des besoins des enfants à qui elles " achètent chaussures, habits, fournitures scolaires ".

     

    La génération de revenus parmi les femmes rurales peut amener des changements dans les relations conjugales, mais ils ne sont pas immédiats. D'après les hommes, la situation dépend plus du type de femme à qui ils ont affaire : ils perçoivent assez mal le fait que certaines, conscientes de leur poids économique, le fassent valoir auprès du mari. Ils valorisent davantage celles qui " ne changent jamais "malgré leur contribution économique dans la famille. Ce sentiment est d'ailleurs largement partagé chez les femmes qui considèrent que leur pouvoir économique ne change pas leur rang de subordonnée, respectant en cela, la tradition et la religion.

     

    L'entretien effectué avec une jeune femme du village de Guédé illustre ces constats. On souligne en italique les expressions qu'elle emploie et qui dévalorisent son propre travail, et en caractères gras les activités économiques réalisées. On constate qu'elle réalise de nombreuses activités mais que par " modestie ", elle leur confère un caractère secondaire ou marginal.

     

    B... est mariée à son cousin. Elle vit dans une grande famille où elle  partage le foyer conjugal avec sa belle mère, ses belles soeurs, son mari, ses beaux-frères et leurs femmes.

    Pour les tâches ménagères, c'est la fille de l'aînée des belles filles, qui lui est " confiée ",  qui s'occupe maintenant des enfants. Elle ne fait que nettoyer la maison quand arrive son tour. Dans le ménage, chaque femme gère le petit déjeuner de sa progéniture et les deux principaux repas sont communs.

    Le riz cultivé par la famille est ramené à la maison et partagé en portions égales entre les frères mariés. Chaque femme puise, dans ses stocks de famille, le nécessaire pour la préparation des repas de midi ou du soir. La dépense familiale est remise par le mari de la femme qui est de tour. Pour les repas, il y a une entente entre femmes de la concession : les belles-soeurs préparent le déjeuner tandis que  les épouses assurent le dîner.

     

    Elle va rarement au champ sauf pour le battage du riz rémunéré en nature au 10e de la quantité travaillée. Sa part du riz vient en complément de la ration quotidienne ou sert à régler ses besoins personnels (cadeaux et autres). Les champs de riz sont communs mais chacun des maris a son lopin personnel pour la culture de tomates industrielles ou les oignons. Elle plante dans le champ du mari des légumes qui lui servent de condiments pour les repas. Elle en vend pour participer à  la dépense quotidienne.

    Le jardin de légumes est le moyen d'avoir des revenus petits mais réguliersqui permettent de régler le quotidien. En plus des légumes, elle a un petit commerce (étal) de mangues ou d'autres friandises, selon la saison, d'autant que ce sont des activités qui ne lui prennent pas beaucoup de temps car même les enfants peuvent vendre pour elle. L'argent gagné sert aussi à épargner à travers des tontines légères qui permettent de s'équiper en matériels et ustensiles de cuisine. Avec les tontines les plus consistantes, elle a de l'argent qu'elle investit dans du plus durable comme l'élevage et l'embouche.

     

    Ses autres revenus économiques importants sont fournis par les tresses lors des fêtes religieuses. Elle achète des habits pour elle et ses enfants. Elle en profite également pour faire des cadeaux à sa maman ou aux parents du mari. Par ordre d'importance, ses revenus proviennent de la vente des légumes, du petit commerce et des tresses.

     

     

    1.2 - LA FONDATION D'UN GROUPE DE JEUNES MIXTE

     

    Initié sur un fond politique (soutien à un politicien local qui avait " ses " hommes), l'organisation d'une tournée de sensibilisation sur le sida et le paludisme en 2009 va être le prétexte à la création du groupe. La mixité de départ est due à la division du travail " spontanée " dans l'organisation des manifestions socio-culturelles où les hommes s'occupent de la logistique et de la sécurité et les femmes de l'accueil et de la restauration.  Ainsi pour les besoins de l'organisation 3 jeunes hommes vont être complétés par 3 jeunes filles dans chaque quartier" qui ne posent pas de problèmes et avec qui les jeunes peuvent facilement composer et travailler ".

     

    Avec le succès de la manifestation, les jeunes commencent à se réunir chez l'un d'eux et petit à petit, naît une prise de conscience qu'ils peuvent et doivent faire plus pour leur développement personnel et celui de leur  localité.  Le groupe prend le nom de " Baamtaaré Sukabe Guédé " c'est-à-dire " développement des jeunes de Guédé ".  10 femmes et 12 hommes représentant une diversité de situations et conditions sociales : mariés-es et célibataires, ménagères, élèves, agriculteurs, éleveurs, pêcheurs.

     

    L'association commence à se structurer avec la formation d'un Bureau et le versement des frais d'adhésion de 500 FCFA (soit 0,7 €) par membre.

    La composition du bureau est faite sur une proposition entérinée de 4 hommes qui désignent des femmes aux postes clés (présidente, secrétaire et trésorière) avec des adjoints hommes.

    Pour les hommes, il s'agit d'encourager les femmes pour qu'elles " osent " s'engager. Ils décident de leur permettre d'avoir des informations, des idées et des espaces d'initiatives, de leur donner leur chance, en valorisant leurs qualités de meilleures gestionnaires et économes. 

     

    Les femmes confirment qu'elles apprécient que les hommes leur laissent leur chance, mais elles revendiquent aussi d'autres qualités, comme leurs astuces (" feem ").

     

     

    1.3 - DES MANIFESTATIONS CULTURELLES A LA TRANSFORMATION DU RIZ : SAISIR UNE OPPORTUNITE

     

    A la recherche de parrain pour une de leurs manifestions culturelles, le groupe a sollicité des soutiens auprès des personnalités originaires du terroir. Des délégués ont rencontré une responsable  d'Enda Pronat qui leur a apporté son soutien matériel et moral. Emus par le geste, des relations particulières naquirent entre le groupe et cette responsable.

     

    C'est parce qu'ils s'étaient ainsi fait connaître par leur dynamisme, qu'Enda Pronat et la fédération firent appel à eux pour prendre la relève, quand un blocage surgit entre la fédération et le groupe de femmes initialement chargé de la transformation du riz, avant la mécanisation de l'unité.

     

    L'expérience de conditionnement du riz ASD à Guédé : du groupe de femmes au groupe de jeunes 

     

    L'activité  a commencé en 2008 avec la première production de riz ASD.

     

    C'est le GIE 9 (privé) de Guédé, membre de la fédération, qui a démarré le conditionnement  du riz et lancé la commercialisation avec un magasin Casino de Dakar en 2008 (1 tonne et demi vendue entre 2008/2009). L'activité de décorticage et de tri à Guédé se faisait avec les femmes membres, puis le riz était livré en vrac et la mise en sachets se faisait à Dakar.

    Par la suite, des femmes de 35 à 55 ans ont été recrutées au niveau de chaque union villageoise et ont suivi une formation de 4 jours en 2009. Du matériel de conditionnement a été acheté pour une valeur de 200 000 FCFA (304 €). Sur la base des informations données par les femmes, la rémunération au poids par kg décortiqué et trié est fixée à 30 CFA (0,04 €), ce qui laissait prévoir une rémunération journalière de 1500 CFA (2 €).

    Dans la réalité, les quantités produites ne permettaient pas d'obtenir le gain journalier attendu et les femmes devaient assumer des frais de restauration et de transport depuis les villages voisins. Elles pensaient que la fédération prendrait en charge ces dépenses. Faute d'accord, la fédération décida de confier l'activité aux jeunes de Guédé Chantier, volontaires pour prendre la relève de façon bénévole initialement.

     

     

    II- LA PROFESSIONNALISATION DU GIE

     

    L'introduction d'une dimension économique dans l'association culturelle des jeunes a été permise dans le cadre du " FSP genre et économie ", avec le soutien d'Enda Pronat.

    Trois types d'appuis ont permis leur professionnalisation tout en maintenant un critère d'équité entre femmes et hommes: l'acquisition d'un matériel performant de décorticage, des formations techniques et en gestion et une formation sur les relations femmes/hommes.

     

    2.1 - LES INVESTISSEMENTS DANS L'UNITE DE TRANSFORMATION DE RIZ ASD

     

     

    Après plusieurs contacts et tests auprès de sociétés, une décortiqueuse performante ZX3 a été choisie en raison du grand nombre de fonctions associées au décorticage : élimination des déchets et  séparation des sous-produits du riz (balle, son, riz blanc en 3 calibres). La décortiqueuse est devenue opérationnelle fin 2010, après la construction d'un abri, d'ouvrages métalliques d'évacuation de la balle de riz et la définition d'un contrat de location entre le locataire et le GIE.

    Le GIE a acquis du matériel qui a amélioré les conditions de travail, auparavant assez rudimentaires : chaises, plats, table, grands bols, thermo soudeuses, et tenues de travail ont transformé le groupe en unité de production professionnalisée.

    Une subvention d'un million FCFA (1500€) a été accordée pour appuyer l'achat du riz paddy à la fédération, comme contribution au fonds de roulement.

     

    2.2 - LES FORMATIONS TECHNIQUES ET SUR LE GENRE

     

    Des formations ont été effectuées pour rendre le groupe performant dans la transformation et la vente des produits. Ces formations se sont accompagnées d'actions visant le développement personnel et humain du groupe : des visites auprès d'autres organisations ont permis d'aborder la question de l'égalité et d'élargir son horizon.

    Toutes les formations ont été mixtes et les formateurs se sont efforcés de faire participer femmes et hommes.

     

    - Formation technique sur l'utilisation et la maintenance de la décortiqueuse 

     

    4 femmes et 3 hommes ont été formés à l'utilisation et  la maintenance de la machine.  Les femmes se sont révélées enthousiastes, bien qu'elles aient eu plus de mal à se familiariser avec les clés à molettes, tourne-à-vis et autres outils. Elles étaient plus à l'aise pour apprécier la qualité de séchage du riz paddy, la propreté des lieux, le respect des normes de qualité. Elles ont été perçues par les formateurs comme plus attentives et motivées.

     

    Photo : la décortiqueuse ZX3 et une meunière en action (Enda Pronat © 2012)

     

     

    - Formation en hygiène 

     

    Elle a eu lieu en 2011 au bénéfice de 12 femmes et 10 hommes. L'accent a été mis sur  les contaminations possibles et les risques dans le décorticage et la transformation du riz.

    Les préoccupations des femmes et des hommes ont été prises en compte afin qu'elles n'en soient pas exclues pour des raisons indirectes.

    ·      le choix des horaires retardé d'une heure pour permettre aux femmes de régler la maison et de s'assurer que tout marche en leur absence

    ·      La formation, alliant théorie et pratique, a permis aux participants-es alphabétisé-es ou non de comprendre.

     

    Photo : l'hygiène dans la transformation des produits agro-alimentaires (Enda Pronat © 2012)

     


    - Formations en gestion

    Les formations ont porté sur :

     

    ·      les outils de gestion de la décortiqueuse : collecte de données écrites par les préposé-es au pesage et à la conduite du moulin, suivi de la performance de la machine

    ·      un business plan destiné à aider le GIE à programmer ses activités au service de ses clients.  C'est un document indispensable pour la recherche de partenaires financiers.

    ·      le marketing et la commercialisation: 2 jeunes (H/F) ont bénéficié d'une formation groupée à Dakar afin d'améliorer la présentation et la commercialisation du riz ASD et d'autres produits. Chaque mission à Dakar des membres du GIE est une occasion de formation pratique, à travers des visites aux points de vente. Des rencontres ont été faites avec des membres d'autres fédérations afin de promouvoir la vente commune de produits ASD à Dakar.

     

    - Formation en genre et visites d'échanges

     

    2 personnes du GIE (H/F) ont participé à l'atelier national sur le genre avec les partenaires d'Enda Pronat et de l'ONG Agronomes et Vétérinaires sans Frontières (AVSF) en 2010. Par la suite, des restitutions sont organisées et des outils d'analyse pratiqués : budgets temps, cartographie de la division des tâches et des territoires, accès et contrôle des ressources. La question de l'équité dans le travail et de la collaboration au sein du foyer ont été largement discutées. Postérieurement, les responsables de Pronat ont régulièrement mis ces questions sur la table et encouragé les femmes à la prise de responsabilité.

     

    Les jeunes ont fait des visites avec un GIE de transformation de céréales à Dakar et ont participé à la foire internationale de l'agriculture et des ressources animales (FIARA).

     

     

     2.3 -  L'EVOLUTION ORGANISATIONNELLE : FORMALISATION ET POSITIONNEMENT DANS LA FEDERATION

     

    - Au démarrage, une organisation horizontale et informelle de tâches

    Quand le groupe de jeunes initie son activité de transformation du riz ASD, celui-ci est préalablement décortiqué dans les moulins du village par des machines. Ils sont chargés de réaliser un travail manuel important de tri et de vannage afin d'éliminer les impuretés, avant le conditionnement destiné à la vente à Dakar. Le principe de base de l'organisation du travail est à cette étape que " aucun membre ne soit laissé en rade ". Toute personne disponible participe au tri et conditionnement du riz ASD, sans trop de hiérarchie.

     

    Puis devant la nécessité de renforcer le personnel, le groupe s'est élargi aux femmes des hommes mariés du groupe, car disent-ils " au lieu d'aller chercher loin, donnons l'opportunité à nos femmes et s'il y a bénéfice, elles en profiteront comme nous". Les 2 jeunes femmes mariées n'ont pas amené leurs conjoints car l'un est absent et l'autre est un agriculteur âgé.  De 22, le groupe passe à 33 membres et devient majoritairement féminin (21 femmes et 12 hommes) dont 9 couples, 2 femmes mariées et 12 célibataires (3 jeunes hommes et 9 jeunes filles).

    Toutes les tâches sont partagées entre les membres avec l'apparition de rôles spécifiques pour quelques hommes comme le pesage et le décorticage. Des hommes sont nommés responsables, ils animent le groupe et organisent le travail. La rémunération de la prestation  au kg de riz est définie par la fédération et Pronat, puis la rémunération globale se répartit entre participants-es suivant les journées de travail pointées pour chacun-e.

     

    - De la reconnaissance juridique et sociale à un positionnement fort dans la fédération et dans la filière ASD.

     

    Après des mois de travail et à la faveur de l'accompagnement reçu, le groupe de jeunes  a évolué vers une formalisation à plusieurs niveaux :

    ·       Au plan juridique: l'association se convertit en GIE et acquiert son récépissé en 2010. Ce récépissé, avec le numéro du registre de commerce, l'autorise à mener des activités commerciales que la fédération ne peut faire légalement à cause de son statut d'association. C'est donc en tant qu'acteur de la filière intégrée de transformation et commercialisation du riz ASD du fleuve que le GIE adhère à la fédération Ngataamaré Toro en 2010.

    ·       La reconnaissance juridique évolue vers un renforcement social et un positionnement économique dans la filière et dans la fédération. Les responsabilités du GIE dépassent la transformation du riz: il se voit confier la collecte, le tri et la vente des oignons ASD.

    ·       La fédération Ngatamaaré Toro acquiert les autorisations de vente des produits transformés par le GIE que sont le Riz brisé, le Couscous précuit de Riz (sous le label " couscous de Fouta n°116/2011/FA "), les granulés non cuits de riz (label " arraw du Fouta n°117/2011/FRA "), autorisations qui viennent couronner les formations HACCP et garantissent la qualité des produits aux consommateurs de Dakar

     

    2.4 - L'INTEGRATION DU GENRE DANS L'ORGANISATION DU TRAVAIL  ET LES REVENUS

     

    La décortiqueuse  améliore les conditions de travail et crée l'innovation avec les femmes meunières

     

    La mécanisation du décorticage, intégrant le vannage, le tri et le calibrage a supprimé les tâches manuelles pénibles comme le tri (se baisser pendant des heures sur le riz blanc).

    Avoir sa propre machine donne la liberté de planifier le décorticage et la possibilité d'en garantir la qualité sans contamination chimique dans les moulins du village, en prenant toutes les précautions requises.

     

    La grande innovation est l'introduction des femmes dans la phase de décorticage jusque- là réservée aux hommes. La facilité de manipulation par rapport à celles présentes à Guédé fait qu'elle est même qualifiée de " machine de femme ".

    Bien que le meunier principal soit plus expérimenté en décorticage (pour y avoir travaillé avant), le travail en binôme homme / femme permet de renforcer les capacités des femmes.

    La plus assidue des femmes meunières de Guédé témoigne que " la formation en genre a beaucoup changé l'activité de décorticage parce que les hommes commencent à nous intégrer d'avantage dans le système ". Ainsi elle commence à prendre des initiatives et  peut gérer l'ensemble des tâches durant son tour de travail.

     

    Vers une spécialisation des tâches

     

    Le GIE s'est réorganisé au fur et à mesure pour être plus performant dans le travail.

    L'installation de la machine et les formations ont entraîné une réorganisation des tâches qui distingue les activités ouvertes à tous et toutes comme le tri et le conditionnement du riz décortiqué et les autres plus spécifiques  en amont et en aval du décorticage.

    En aval, de nouvelles activités sont confiées spécifiquement aux femmes comme la transformation du riz blanc en couscous et granulés (arraw).

    En amont, il y a les travaux de manutention et de pesage du riz.

     

    La répartition hommes / femmes dans la chaîne de transformation au niveau du GIE  s'effectue comme suit selon le type de produits (riz blanc ou transformé).

     

    CONDITIONNEMENT DU RIZ BLANC OU COMPLET

    Pesage du riz paddy à l'arrivée

    H

    Pesage du riz à la sortie

    H

    Transport du paddy

    H

    Manutention du riz

    H

    Séchage du riz

    H/F

    Conduite de la décortiqueuse

    HF

    Récupération des sous -produits

    H/F

    Remplissage des documents (cahiers)

    H /F

    Tri du riz  blanc décortiqué ou complet

    H/F

    Vannage

    H/F

    Pesage

    H/F

    Couture des sacs / ensachage

    H/F

    TRANSFORMATION EN COUSCOUS ET GRANULES (ARRAW) DE RIZ

    Pesage et lavage du riz à transformer

    F

    Pilage au moulin à farine

    F

    Tamisage

    F

    Roulage

    F

    Cuisson à la vapeur

    F

    Séchage du riz

    F

    Pilage du couscous à la main

    F

    commercialisation

    H / F

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La  transformation en couscous et arraw est introduite en 2011 comme test de diversification pour renforcer le travail du GIE en confiant à des femmes spécialisées le roulage manuel de la farine en granulés. Le fait que cette activité se réalise à domicile pour le moment explique son exclusivité féminine.

    Selon les jeunes, toutes les activités sont potentiellement mixtes dans le temps : le roulage manuel pour les hommes va demander beaucoup d'apprentissage et les hommes ménagent leurs femmes et " soeurs " en leur épargnant la manutention.

     

    Des bénéfices monétaires mesurables de différentes façons.

     

    Il existe plusieurs manières de comparer les revenus des femmes et des hommes : soit en comparant la rémunération au kg selon la tâche, soit en comparant le total des rémunérations reçues par les hommes et par les femmes, en séparant les tâches de transformation primaire (décorticage et conditionnement du riz blanc), des tâches de transformation secondaire (roulage, cuisson du couscous et arraw) rapportées au kilo.

     

    Le tableau indique la répartition des rémunérations des débuts du GIE en mars 2012.

     

     

     

     

    Tableau 1 : répartition entre H et F des  revenus issus de la prestation des jeunes du GIE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le GIE a reçu l'argent de ses prestations de décorticage de 2010 au 1er trimestre 2012 en deux versements  de  216 850 FCFA  (330 €) puis 497 215 FCFA (758 €), après la vente finale de 14281 KG de riz à Dakar. Globalement les hommes ont reçu 400 000 FCFA (610 €) et les femmes environ 314 000 FCFA (478 €), soit 56% en faveur des hommes. Les montants reçus font l'objet d'une répartition entre équipes (conditionnement, commercialisation...) puis entre membres à l'intérieur de chaque équipe selon le temps de travail passé.

     

    La transformation secondaire en granulé (arraw) a concerné 14 femmes et a été rémunérée à 200 FCFA (0,30 €) le kg tandis que couscous est payé à 250 CFA (0,38 €), car il nécessite des opérations en plus comme la pré-cuisson et le pilage. La rémunération moyenne de chacune des femmes ayant fait le test de transformation en couscous et " arraw " a été donc de 13 032 FCFA (20 €). Pour cette activité qui a l'ambition de se développer, l'argent est immédiatement disponible, car le GIE remet l'argent aux femmes avant la vente à Dakar.

    Si on prend en compte le total des revenus tirés des deux formes de transformation (production de riz blanc ASD et transformation en couscous et arraw), le total des revenus générés est capté à 55% par les femmes. Ainsi la transformation secondaire aide les femmes à combler le différentiel de revenu créé par le fait que, dans l'état actuel des choses, les hommes sont plus présents en temps et en nombre dans les activités de décorticage. La transformation secondaire offre donc des perspectives de sources additionnelles et de diversification de revenus pour les femmes.

    Le travail à l'unité de transformation est loin d'occuper totalement les membres du GIE qui vaquent à d'autres activités (agriculture, élevage pour les hommes ; petit commerce et récolte de riz ou de tomates pour les femmes). L'intensité du travail dépendra de la production locale de riz ASD, de l'écoulement des produits à Dakar et des pics de travail dans les champs notamment les récoltes qui nécessitent de la main d'oeuvre masculine comme féminine.

     

    Les bénéfices non monétaires

     

    Comme le souligne Hamath Hanne, le commercial du GIE du Fleuve : "pour le moment, les bénéfices économiques ne sont pas nombreux car l'argent reçu n'est pas trop important. Mais, il y a des bénéfices liés aux formations et aux connaissances acquises même s'il reste encore à faire ".

     

    Ainsi la réflexion sur le genre a amené le GIE à rendre visibles et apprécier les bénéfices non monétaires : 

    ·      la création du GIE et l'acquisition de sa reconnaissance juridique

    ·      l'adhésion du GIE à la fédération Ngatamaaré Toro

    ·      les formations reçues, 

    ·      la participation à des foires, visites d'échanges et au forum social mondial

    ·      le renforcement du groupe (bonne entente, travail en chaîne et dans la polyvalence)

    ·      les effets bénéfiques qui s'étendent aussi à la famille

    ·      la sensibilité au genre se développe : les hommes motivent et encouragent les femmes.

     

     

    III - LECONS TIREES DE LA PRATIQUE DU GENRE : 
    UN EXERCICE DE LONGUE HALEINE

     

    3.1 - AVANTAGES ET INCONVENIENTS D'UNE ORGANISATION PAYSANNE MIXTE

     

    Parmi les avantages des organisations mixtes, nous notons :

    ·      le milieu est proche de la réalité où les hommes et les femmes ne vivent pas séparés

    ·      l'apprentissage à la négociation et à la prise de décision : le durable c'est ce qu'on obtient à force de combattre

    ·      la prise en compte du genre est facilitée lorsque des hommes convaincus qui deviennent médiateurs et avocats de la cause des femmes

    ·      la mixité peut faciliter la complémentarité dans le travail, la prise en compte des idées et des besoins des hommes et des femmes.

     

    Cependant, il faut être conscient :

    ·      du risque de domination et d'accaparement du pouvoir par les hommes le plus souvent

    ·      que le poids numérique et économique des femmes n'est pas toujours synonyme de pouvoir politique et d'influence : une poignée d'hommes peut décider de tout même dans une organisation de femmes.

    ·      des pesanteurs socio culturelles qui freinent les femmes et créent des barrières avec lesquelles un projet comportant une perspective de genre doit prendre en compte.

     

    Dans le cas du  GIE et de ses activités, nous avions noté les contraintes suivantes rencontrées par les femmes :

    ·      Le comportement assez réservé des femmes lors des formations ou des rencontres même si l'animateur les stimule à participer. Des leaders émergent cependant.

    ·      L'analphabétisme : pour assumer certaines responsabilités où l'écriture est nécessaire, il faut être alphabétisé. Les filles scolarisées peuvent jouer ce rôle, cependant pour des raisons d'étude, elles sont appelées à résider en dehors de Guédé Chantier, ce qui les déconnecte de l'activité une bonne partie de l'année.

    ·      La maternité : au fleuve, les filles se marient assez tôt (moins de 18 ans). Les grossesses rendent indisponibles temporairement les femmes et le manque de services pour la petite enfance constitue un facteur handicapant. Les travaux ménagers arrivent à se répartir avec une organisation au niveau familial notamment si elles sont plusieurs femmes dans la maison. Un des exemples reste la femme meunière la plus engagée, qui occupe un poste qualifié grâce à la discussion introduite sur le genre autour de l'installation de la décortiqueuse, et qui a dû se retirer un temps à cause de sa grossesse. Cependant, son repos a coïncidé avec une panne de la décortiqueuse et donc l'impact de son arrêt a été minimisé.

     

    3.2 - EGALITE VERSUS EFFICACITE : LE DILEMME DU GENRE

     

    La prise de responsabilité des femmes n'est pas facile malgré les efforts faits par le GIE et l'accompagnement du projet. Comme le dit l'un des responsables " travailler avec des femmes demandent de la patience : il faut les tirer, beaucoup conscientiser et encourager pour les amener à l'action ". Les hommes sont plus " disponibles " dans le suivi quotidien, car ils subissent moins de contraintes personnelles et familiales.

     

    Dans le cadre d'un projet intégrant la dimension genre, travailler à une distribution équitable des rôles dans l'activité économique, prend plus de temps pour l'apprentissage des femmes analphabètes et responsables de famille et peut aller à l'encontre d'une efficacité économique immédiate.

     

    Dans la transformation agro-alimentaire, on pense généralement aux femmes. La mixité des formations techniques et en genre a permis de mettre le doigt sur le processus, souvent déploré à posteriori, de changement des bénéficiaires d'une activité manuelle de transformation agroalimentaire au moment de sa technification ou mécanisation, et ainsi d'enrayer le mécanisme de " dépossession des femmes " des bénéfices du développement, ou du moins de l'infléchir.

     

    Une vigilance devra être maintenue sur le long terme, car ces acquis ne sont pas garantis, comme le témoigne l'évolution des fédérations partenaires de Pronat, très majoritairement féminines à la base, et masculines au sommet : le manque de services d'appui,  des projets techniques sans ressources spécifiques ou suffisantes sur le genre, les difficultés quotidiennes des femmes rurales pour accéder aux crédits ou à la formation continue, peuvent avoir raison des bonnes intentions.

     

    3.3 - L'avenir du GIE en 2013

     

    L'avenir du GIE s'apprécie à travers l'activité économique et les objectifs que les jeunes se fixent.

     

    Pour l'activité de transformation du riz, la distribution du riz se limite pour l'instant aux supermarchés et supérettes de la capitale. Aujourd'hui le prix d'achat du riz paddy par la fédération aux producteurs ayant opté pour l'ASD, a été fixé à 200 F/kg (0,30 €) pour stimuler les producteurs face aux difficultés d'entretien manuel des parcelles et aux coûts d'irrigation qui ne cessent d'augmenter avec la flambée des prix du pétrole. Il demeure élevé pour que le riz décortiqué produit sans pesticides ni engrais chimiques arrive à un prix abordable pour le consommateur de classe moyenne urbaine à Dakar (il est actuellement vendu à 500 CFA soit 0,76 € le kg). Pour ouvrir le marché à un plus grand nombre de consommateurs, Pronat et les producteurs doivent travailler à l'augmentation des rendements, à la baisse des coûts de production (systèmes d'irrigation à partir d'énergie solaire), à l'amélioration du système de financement des activités agro-écologiques de la production du riz à la commercialisation des produits finis.

     

    La construction d'un nouveau local pour l'unité de transformation et d'un magasin de stockage de produits ASD subventionnés par un partenaire allemand va sécuriser l'activité de transformation et le travail du GIE. Les jeunes ont joué un rôle important dans l'identification du terrain et le suivi des travaux.

     

    Les jeunes peuvent être considérés comme des exemples.

    Les formations genre ont eu un impact important sur les relations entre les membres du groupe. Même si toutes les femmes ne sont pas encore acquises, il y en a de plus en plus qui pensent que tout ce que l'homme fait, la femme le peut aussi, jusqu'au décorticage avec une machine. Cela peut aider à changer les mentalités des hommes et des femmes du village pour montrer que c'est possible. Maintenant que le tabou est levé, d'autres groupements de femmes peuvent acquérir leur décortiqueuse et travailler pour elles-mêmes.

     

    Les jeunes sont optimistes et confiants face à leur avenir.

     

    Nous espérons beaucoup de ce GIE qui évolue vers une entreprise. Nous savons ce que nous voulons et  ce que nous pouvons. L'union fait la force. Nous ne nous décourageons pas, nous cherchons toujours des connaissances, nous allons réussir.

    Si nous sommes unis-es, nous sommes forts-es, nous vaincrons nos difficultés car  " un seul doigt ne peut pas ramasser une pierre " et  " si les bouches des fourmis s'unissent, elles transportent un éléphant ".

     

     

     

    CONCLUSION

     

    L'expérience du " FSP genre et économie " a été très enrichissante. Le GIE a beaucoup évolué au plan organisationnel et levé certains tabous dans l'activité de transformation.

    Cependant, il y a encore à faire dans la promotion du genre. Les  développements faits sur les difficultés ont montré la complexité de prendre en compte le genre dans les  groupements mixtes avec la tension entre l'efficacité immédiate pour la rentabilité économique et la participation effective de tous les acteurs et actrices qui nécessite des moyens et du temps.

    La réduction des inégalités devra prendre en charge des questions plus stratégiques et un accompagnement plus spécifique des femmes comme les droits civils, les formations techniques, l'alphabétisation, la confiance et l'estime de soi. Le processus ne peut qu'évoluer et le chemin est encore long mais nul doute que le suivi des acquis de ce projet va se poursuivre à travers les projets actuels et futurs.


    [1] L'Agriculture Saine et Durable (ASD) peut être définie comme un type d'agriculture qui vise à produire plus et mieux et qui s'inscrit dans une approche respectueuse de la santé des populations (humaines et animales) et de l'environnement. Source : rapport général portant sur la promotion de l'agriculture saine et durable, août 2008, page 4.

     

    [2] Expression utilisée pour faire référence aux ingrédients qui composent une sauce accompagnant le plat de riz (légumes, etc.).

    [3] En moyenne le riz blanc représente 60% de paddy

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