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Le livre scolaire : une marchandisation programmée



  • Jadis outil unique et presque sacré pour véhiculer les savoirs, le livre scolaire est devenu une marchandise ouverte à l’assouvissement des appétits des marchands de tous bords. Chronique d’une marchandisation programmée.

    Tout commence avec l’Arrêté N° 001 PM/CAB/DU 04 JAN. 2002 du Premier Ministre portant création, organisation et fonctionnement du Conseil national d’agrément des manuels scolaires et des matériels didactiques.

    Cet Arrêté est une programmation, volontaire ou non, de la marchandisation du livre scolaire tant sur le plan de la forme que sur le plan du fond.

    Sur la forme : auparavant, il y avait un livre par matière et par niveau qui mettait d’ailleurs de longues années au programme. Avec cet arrêté, on passe à la sélection de trois livres, par matière et par niveau. Après cette sélection, le ministre en charge de l’éducation prend un arrêté qui publie les livres mis au programme. Il revient ainsi à chaque établissement scolaire la latitude de choisir le livre qui sera mis au programme. Dès lors, les éditeurs et les auteurs peuvent aller rencontrer tous ceux qui sont dans la chaine de décision pour la mise de leur livre au programme en leur faisant des propositions de tous genres.

    En fait il s’agit de satisfaire les éditeurs qui se sont plaints que le livre unique n’ouvrait pas le marché et exigeaient, pour cela, la libéralisation de ce secteur. Il est clair, dès lors, que ce n’est pas tant pour la bonne marche de l’école que le secteur du livre a été libéralisé, mais beaucoup plus pour des raisons marchandes.

    Lors d’un débat télévisé à la Cameroon Radio Television (CRTV), un panéliste, ancien directeur d’une maison d’édition, se plaint du fait que l’Arrêté du Premier Ministre ne soit pas respecté par le Conseil. Il évoque pour cela une des attributions de ce dernier qui consiste à « proposer à l’agrément, dans l’ordre de classement de la liste, trois livres et /ou matériels didactiques au plus par matière et par classe ». Il blâme le Conseil d’en proposer souvent plus de trois et démontre qu’en procédant ainsi, cela provoque un émiettement du marché qui ne permet pas aux éditeurs de bien travailler (selon ses termes), c’est-à-dire de réaliser de bons bénéfices. Il est ainsi clair que, ce qui est important pour lui, ce n’est pas le livre scolaire en tant que véhicule du savoir, mais ce qu’il devrait engendrer comme bénéfice pour certains individus. C’est, en d’autres termes, sa valeur marchande.

    Est-il encore besoin d’avancer d’autres arguments pour démontrer que, sur la forme, cet Arrêté du Premier Ministre était inopportun puisqu’il ouvrait la voie à la marchandisation du livre scolaire.    

    Sur le fond : lorsqu’on regarde, même sans grande attention, l’organisation et le fonctionnement de ce Conseil, il y a lieu de s’inquiéter plus encore. La grande majorité des membres ne sont pas des spécialistes de l’éducation, et moins encore des enseignants. Pour quelle raison faut-il mettre dans un conseil qui a la lourde mission de choisir et d’évaluer le livre des commerçants, si ce n’est pour privilégier des intérêts mercantilistes !

    Le Conseil par ailleurs, lors de la mise sur pied des commissions spécialisées chargées de l’évaluation et de la proposition des livres à mettre au programme, veille à ce que les enseignants de la discipline concernée n’en fassent pas partie, sous le prétexte de la neutralité et de l’objectivité. La neutralité et l’objectivité ont-elles un sens dans un domaine où l’on est complètement ignorant ? Il va de soi, dans de telles conditions, que la qualité ne peut pas y être et que l’on proposera du n’importe quoi jusqu’à des livres truffés de fautes d’orthographe comme on en rencontre dans les programmes.

    L’Arrêté détermine la durée d’un livre au programme avant une nouvelle évaluation : trois ans. Mais l’on constate que presque chaque année, les livres changent. Plus grave, ils sont tous accompagnés de cahiers d’exercice. Ce qui signifie que personne d’autre ne peut utiliser le même livre, et que, si l’on reprend soi-même une classe, l’on est condamné à acheter un autre livre puisqu’on ne saurait acquérir le cahier d’exercice exclusivement.

    Les conséquences sont nombreuses et fâcheuses. Beaucoup d’élèves ne peuvent pas se procurer la totalité des livres, puisque les parents ne sont pas assez nantis. Ce qui exclut une bonne partie des enfants de l’éducation. Certains parents, ayant pourtant toutes les aptitudes intellectuelles, sont incapables de suivre leurs enfants parce que les livres changent à tout moment. Suivre leurs enfants serait synonyme d’un recyclage annuel perpétuel. Personne ne peut se soumettre à un tel exercice.

    D’un autre côté, les enseignants découvrent le livre au même moment que leurs élèves, à la rentrée scolaire, puisqu’ils ne sont pas partie prenante dans le choix du livre. Et presque chaque année. Comment peut-on valablement dispenser les cours dans un tel environnement ? Les enseignements ne sauraient donc être de qualité.

    Tous ces dysfonctionnements (non exhaustifs) dévoilent clairement l’absence d’une politique du livre.

    Que l’on se souvienne qu’un ministre en charge de l’éducation en avait mis sur pied une. Mais comme elle ne laissait pas une ouverture à la marchandisation, il s’est mis à dos les éditeurs tant nationaux qu’internationaux qui ont rapidement eu raison de lui en le faisant évincer de ses fonctions.

    La FECASE propose, pour sortir de cette marchandisation, que l’on revienne au livre unique par discipline. Son choix est d’ailleurs fort simple mais rigoureux. Il suffit de demander à chaque auteur de déposer auprès du Conseil au moins dix exemplaires. Chacun de ces exemplaires, après en avoir voilé l’auteur, est mis à la disposition de chacune des dix inspections régionales qui l’expertisent selon des critères objectivement définis. Les notes sont ensuite retournées au Conseil qui peut enfin faire mettre au programme le livre ayant obtenu la meilleure note.    

     

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