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Après le rapport de l'IPBES, trouver des pistes pour sauver la biodiversité


Par Philippe GrandcolasMuséum national d’histoire naturelle (MNHN) pour La Conversation

Cet article est publié en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent chaque mois une chronique scientifique de la biodiversité : « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.

1 million d’espèces sur 8 en voie d’extinction, 2 millions en grand danger, de nombreux services rendus par la biodiversité qui déclinent fortement. Tel est le bilan alarmant rendu le 6 mai dernier par le rapport de l’IPBES sur la biodiversité.

Les travaux des 150 scientifiques experts, originaires de 132 pays, travaillant pour cette plate-forme intergouvernementale ont fort heureusement été relayés par la presse, les radios et télévisions du monde entier ; et ce sont plus de 500 médias accrédités qui couvraient cet évènement situé à Paris.

L’IPBES rassemble des biologistes du monde entier, capables d’évaluer la situation de la biodiversité ainsi que les mécanismes influençant, en bien ou en mal, son état.

Chiffres et polémiques

Ce panel d’experts internationaux fonctionne comme le GIEC (qui travaille sur le changement climatique) : il adopte des résolutions quand le degré de connaissances sur une question s’avère suffisant et qu’un consensus sur les conclusions à en tirer existe. Chaque élément de ce rapport – basé sur 15 000 articles scientifiques – est contrôlé, critiqué et validé par des centaines d’évaluateurs. 20 000 commentaires ont ainsi été émis et pris en compte dans le rapport final du 6 mai.

Difficile ainsi de trouver une phrase irréfléchie ou mal pesée dans cet ensemble de plus de 1 800 pages, dont un résumé de 39 pages a été rapidement mis en ligne.

Le premier élément du rapport a avoir été relayé par les médias concerne le nombre hallucinant d’espèces en voie d’extinction (1 million) ou en danger (2 millions) dans les toutes prochaines décennies.

Ces chiffres ont frappé les esprits. Et provoqué parfois l’incompréhension, des voies discordantes se faisant entendre, faute d’expertise scientifique et statistique ou par réaction épidermique au concert des lamentations.

Ce sont en fait les mêmes polémiques qui réapparaissent régulièrement sur ce sujet : comment évaluer les pertes sur un ensemble (la biodiversité) en grande partie inconnu ? La spéciation (à savoir l’apparition de nouvelles espèces) ne va-t-elle pas compenser les extinctions ?

Une évaluation extrêmement prudente

L’évaluation chiffrée des espèces en danger sont basées sur des méthodes d’analyse statistique, qui prennent en compte des critères standards de l’IUCN. Quand ces méthodes révèlent statistiquement les mêmes tendances pour différentes espèces, ou dans différents écosystèmes, on obtient alors une estimation globale chiffrée réaliste.

De la même manière que pour les sondages d’opinion, ces estimations ont un sens seulement si l’échantillon utilisé est représentatif. Dans le cas de l’IPBES, l’évaluation s’avère extrêmement prudente sur cet aspect méthodologique. Une évaluation très réaliste, mais sans doute moins avérée, amènerait en fait de nombreux scientifiques à avancer un chiffre bien supérieur à celui de 2 millions d’espèces en voie d’extinction.

Quant à la spéciation, certes, elle génère de nouvelles espèces parfois très rapidement, mais son taux moyen sur l’ensemble du vivant est incommensurablement plus faible que celui des extinctions (plusieurs milliers de fois plus faibles).

En outre, les spéciations (comme les extinctions) ne sont pas réparties uniformément et ne concernent pas forcément les mêmes groupes d’organismes. Ainsi, si l’on étudie le vivant sous la forme d’un arbre évolutif, dont les ramifications résultent de l’évolution et des spéciations successives, il apparaît vraiment très mal « taillé » en raison des extinctions provoquées par les humains : beaucoup de branches raccourcies, certaines massacrées sur leur plus grande partie, d’autres « simplement » déséquilibrées

Un coût terrible pour l’humanité

Au-delà de tous ces chiffres, c’est aussi notre confort et notre survie qui sont directement en jeu. Il ne s’agit pas seulement d’une perte pour les amoureux des papillons et autres girafes – quand bien même on doit s’en émouvoir et y trouver des remèdes.

La biodiversité nous « sert » chaque jour, souvent sans que l’on s’en rende compte. Le rapport de l’IPBES rappelle à ce sujet quelques informations essentielles : 70 % des médicaments contre le cancer sont issus ou inspirés des espèces vivantes ; 75 % des plantes que nous cultivons sont pollinisées par des animaux ; la qualité des sols ou de l’eau dépendent de la biodiversité ; les ravageurs des cultures ou les vecteurs de nombreuses maladies seraient plus destructeurs encore sans antagonistes naturels au sein de la biodiversité.

L’effondrement de la biodiversité a et aura un coût terrible pour l’humanité.

Ce que certains qualifient de catastrophisme ou d’alarmisme n’est en fait rien d’autre que la juste évaluation par l’IPBES du rôle de la biodiversité dans notre vie quotidienne…

Et pendant ce temps passé à polémiquer, nombre de services écosystémiques liés aux organismes ou aux milieux se dégradent inéxorablement.

La synthèse de l’IPBES permet de compiler des chiffres terrifiants : la dégradation des terres a aujourd’hui réduit la productivité agricole sur 23 % de la surface terrestre ; les risques de perte de pollinisation sont évalués entre 235 et 577 milliards de dollars en termes de production agricole ; la dégradation des récifs coralliens due au changement climatique – le blanchiment des coraux est lié à l’acidification des océans sous l’effet de l’absorption du gaz carbonique – expose 100 à 300 millions de personnes à des risques d’ouragans ou d’inondation par la mer.

Des causes et des remèdes bien identifiés

Le rapport de l’IPBES identifie clairement – par ordre décroissant d’importance – les causes principales du recul de la biodiversité terrestre : les changements d’usages des terres ou des mers, l’exploitation directe, le changement climatique, les pollutions et, enfin, les espèces exotiques envahissantes.

Rappelons ici que l’extension des terres agricoles ou d’élevage correspond aujourd’hui à un tiers de la surface des terres émergées ; cela aux dépens des forêts (100 millions d’hectares de forêts tropicales perdus de 1980 à 2000) et des zones humides (ces dernières ont été réduites de 90 % depuis le début de l’époque industrielle), rappelle l’IPBES.

Le changement climatique joue pour sa part un rôle croissant ; il exacerbe aussi très souvent les problèmes liés à d’autres facteurs d’influence dans plusieurs types d’écosystèmes. Sur le front des polluants – outre ceux issus de la pollution urbaine et des pesticides –, le plastique (quantité déversée multipliée par 10 depuis 1980) joue un rôle négatif majeur. Enfin, les signalements d’espèces envahissantes ont augmenté de presque de moitié depuis 1980.

En attendant les accords de Pékin

L’importance de tous ces facteurs est liée au développement des populations humaines, qui ont doublé en 50 ans ; et à l’activité économique qui a quadruplé sur la même période. Il faut ici signaler le courage de l’IPBES qui prend en compte le facteur démographique humain, un paramètre souvent tabou. De même, l’objectif d’une croissance économique toujours plus forte est épinglé dans le rapport comme un problème majeur.

Il apparaît ainsi indispensable que les politiques développées prennent en compte les services écosystémiques et autres contributions de la nature aux personnes. Sur ce point, le rapport de l’IPBES n’est teinté d’aucune réserve ni d’aucune imprécision : les méthodes sont éprouvées et connues par les scientifiques et pourraient être employées sans détour par tous les États volontaires.

Soulignons encore qu’il est question de soutenir un développement durable, et non de généraliser un quelconque régime de disette ! Il s’agit de trouver des règles de gestion harmonieuses et raisonnées entre les activités humaines et les écosystèmes.

Pour cela, les « sciences de la biodiversité » (écologie, systématique, biologie de l’évolution, etc.) ne doivent plus être considérées comme des variables d’ajustement, des épouvantails ou des éléments cosmétiques de politiques gouvernementales.

Au terme de l’assemblée plénière de l’IPBES à Paris en mai dernier, Emmanuel Macron a reçu des membres de la plate-forme et s’est engagé à ce qu’une délégation IPBES s’exprime au G7, ce qui a amené à la signature par les ministres de l’Environnement de la charte de Metz de la biodiversité.

L’enjeu est désormais de former une coalition internationale pouvant s’accorder sur des objectifs communs à valider lors de la prochaine réunion internationale sur la biodiversité, attendue en 2020 en Chine. Il nous faut des accords de Pékin comme il y a eu des accords de Paris sur le climat ! Les esprits chagrins ne manqueront pas de signaler que ces derniers ont déjà été remis en question par plusieurs pays et non des moindres. Mais avons-nous d’autres possibilités que d’essayer d’avancer ?

Philippe Grandcolas, Directeur de recherche CNRS, systématicien, UMR ISYEB, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

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