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La France peut-elle vraiment atteindre la neutralité carbone ?


Epinglé début juillet par deux hautes instances, l’État français n’a plus le choix : atteindre la neutralité carbone en 2050 va nécessiter des efforts conséquents. Et dans cette bataille, tous les secteurs de l’économie sont concernés.

La France est mise aujourd’hui devant ses responsabilités : si elle n’inverse pas la courbe, elle n’atteindra pas la neutralité carbone en 2050 comme elle s’est engagée à le faire. Le rapport annuel du Haut Conseil pour le climat (HCC) du 29 juin et le Conseil d’État le 1er juillet ont jeté un pavé dans la mare : l’État français est pointé du doigt. A lui maintenant d’accompagner au mieux l’accélération de la transition écologique des secteurs les plus émetteurs, selon le Rapport sur l’état de l’environnement : les transports (30%), les maisons et bureaux (19%), l’agriculture (17%) et l’industrie (12%).

 

Transports : automobiles et infrastructures sur la même ligne

Dans la révolution énergétique en cours, le secteur des transports est certainement celui qui a changé le plus radicalement de braquet. Côté automobile, les ventes de voitures hybrides et électriques s’envolent, la guerre commerciale fait rage entre constructeurs : début juillet, la Tesla 3 a détrôné la Renault Zoé des meilleures ventes. Le nº1 mondial, le Japonais Toyota, vient quant à lui de revoir à la hausse ses objectifs, la neutralité carbone ayant été initialement annoncée pour 2050 : « Toyota va relever une série de défis pour rendre ses usines neutres en carbone d’ici 2035%u200B, assure Masamichi Okada, responsable de la production du groupe japonais. Nous cherchons à réaliser des usines vertes. La neutralité carbone nous donne l’opportunité de fondamentalement repenser la production. »

Pour faire rouler toutes ces nouvelles voitures électriques, il faut bien évidemment que les infrastructures suivent. Là, l’État va investir un peu, mais comptera principalement sur les opérateurs privés pour généraliser les bornes de recharge électriques haut débit et mettre en place des infrastructures complètes en faveur des véhicules propres. « Le constat est simple : près de 90% des déplacements se font par la route, remarque Blaise Rapior, directeur général adjoint Contrats/Concessions chez Vinci Autoroutes. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, il faut impérativement rendre les déplacements moins polluants [...] Il y a urgence à décarboner l’usage de la route. » Si l’État, par les voix conjointes des ministres de la Transition écologique et des Transports, Barbara Pompili et Jean-Christophe Djebbari, a annoncé un plan pour l’installation de 100000 bornes de recharge d’ici fin 2021 sur l’espace public, les budgets alloués ne suffisent pas. Les entreprises privées devront prendre le relais.

 

Maisons et bureaux : économies d’énergie insuffisantes

Là aussi, l’État va devoir mettre un coup d’accélérateur. Si les Français continuent de bénéficier de dispositif de type MaPrimRenov pour la rénovation énergétique des habitations, certains chiffres montrent que les efforts consentis par le secteur de la construction n’ont pas eu l’impact souhaité. Selon Baromètre 2020 de la performance énergétique et environnementale des bâtiments, la consommation d’énergie des bureaux en France a certes baissé de 16,8% en 10 ans, mais la baisse moyenne annuelle des émissions de gaz à effet de serre ne suit pas les prévisions : « Le projet de Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) présenté en 2018 et mis à jour en 2020 fixe pour le secteur du bâtiment un objectif de diminution de 49% des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030 par rapport à l’année de référence de 2015, rappelle le rapport. L’atteinte de cet objectif suppose donc une diminution annuelle moyenne d’émissions de GES de 4,5% minimum. » Avec -1,94% en moyenne entre 2010 et 2019, le secteur des bureaux par exemple doit faire mieux. En cause : l’amélioration des infrastructures ne compense pas les changements de comportements humains, toujours en demande de davantage de chauffage l’hiver et surtout de climatisation l’été.

Côté résidentiel, la tendance est nettement meilleure. D’après le Rapport sur l’état de l’environnement, les émissions de GES ont chuté de 16% depuis 1990 : « Cette réduction des émissions de CO2 liées à l’usage des logements résulte pour partie d’une diminution des consommations d’énergie au m2. La diminution de cette demande en énergie par m2 de logement traduit la meilleure isolation du parc de logement. La quasi-totalité des émissions de GES provient du parc existant pour qui l’enjeu est la réduction globale des consommations d’énergie. Ce recul des consommations nécessite une rénovation massive du parc afin d’améliorer significativement l’isolation du bâti. » Dans ce domaine, le rapport souligne la réussite des politiques publiques.

 

Agriculture : les GES, un phénomène naturel

Quand on pense gaz à effet de serre, vient immédiatement le CO2 à l’esprit, celui-ci représentant 74% des émissions françaises de GES. Dans le secteur agricole, la part du dioxyde de carbone ne représente pourtant que 13% des émissions, contre 45% pour le méthane (CH4) et 42% pour le protoxyde d’azote (N2O). Ne sont donc pas en cause, en premier lieu, la consommation énergétique et les émissions des engins agricoles, mais l’élevage et les cultures : « 68% du CH4 de l’inventaire national de GES est issue de l’élevage. Par ailleurs, 36 millions de tonnes de CO2, soit 42% des émissions de l’agriculture, sont du N2O lié aux cultures. L’agriculture (effluents d’élevage et fertilisation des sols) contribue à 89% aux émissions nationales de N2O. » Globalement, ces émissions ont diminué de 8% entre 1990 et 2019 en France, principalement grâce à de meilleurs rendements de l’industrie laitière.

Phénomène naturel, les émissions de GES de l’élevage ne sont donc pas totalement compressibles, même si la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) a préconisé de réduire ces émissions de 46% entre 2015 et 2050, en intensifiant l’agro-écologie et l’agriculture de précision, et en faisant la chasse aux machines gourmandes en énergie.

 

Industrie et construction : tout pour l’innovation

Ces deux secteurs sont classés ensemble alors qu’ils présentent des profils très différents. Ces trente dernières années, l’empreinte carbone de l’industrie française a diminué principalement à cause de la désindustrialisation du pays. Un phénomène qui pourrait changer suite à la crise sanitaire du Covid-19 et à la volonté de l’État de rapatrier sur son sol certaines industries critiques. La problématique a bien été résumée par un article du Monde intitulé Réindustrialiser la France tout en réduisant les émissions de carbone, pourquoi l’équation reste un casse-tête.

Pourtant, il y a des motifs d’espoir. Selon Caroline Mini, chef de projet à La Fabrique de l’industrie, « l’industrie joue un rôle essentiel dans la transition écologique. Ce secteur est le troisième émetteur des émissions nationales de gaz à effet de serre et doit diminuer ses émissions de 81% à l’horizon 2050 par rapport à 2015 pour être cohérent avec la SNBC. L’industrie est aussi source d’innovation : elle réalise environ 70% des dépenses intérieures de R&D des entreprises. Elle contribue ainsi au déploiement des technologies bas carbone dont nous avons besoin pour décarboner notre économie sans dégrader nos modes de vie ».

Côté construction, les choses sont plus claires : l’impact environnemental d’un bâtiment se joue lors de sa construction puis lors son utilisation. Pour le BTP, de nouvelles solutions s’offrent aux entreprises, avec par exemple du béton fibré pour remplacer le béton armé. Comme le souligne le site d’analyse environnementale GreenLy Earth, « afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone fixé par la France pour 2050, le secteur du bâtiment peut jouer sur plusieurs leviers, comme la rénovation du bâti existant et la sobriété des usages pour réduire les consommations énergétiques, ainsi que la décarbonation des consommations résiduelles… Pour valoriser les chantiers ayant d’ambitieux objectifs en termes de réduction de leurs émissions, le label Chantier Zér0 Carbone délivré par l’association RQE permet de devenir neutre en carbone via des actions de séquestration des émissions restantes ». Dans la construction, plusieurs révolutions sont donc en cours, l’État compte dessus pour voir les émissions du secteur baisser.

Si tous les acteurs ­(transports, résidentiel et bureaux, construction…) jouent le jeu – voire s’ils vont plus loin que ce qu’on leur demande –, la France pourra franchir le cap du zéro émission carbone en 2050. Peut-être même avant. Dans son communiqué du 1er juillet, le Conseil d’État donnait neuf mois au gouvernement pour revoir sa copie et accélérer la transition écologique. Une chose est certaine : il n’y parviendra qu’en s’appuyant sur les innovations de tous ces acteurs privés.

 

 

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