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Comprendre le déclin de l'abeille une toxine à la fois



  • Insecticides, herbicides, fertilisants… Autant de menaces à la santé de la faune en milieu agricole. L’abeille, pollinisateur par excellence, n’est pas épargnée et la gravité de son déclin inquiète. Le nombre de recherches menées à ce sujet est grand, mais cela se traduit-il par des actes concrets pour protéger l’abeille ?

     

    La question est lancée par la professeure associée au département des sciences biologiques de l’UQAM et chercheure au Centre de recherche en toxicologie de l’environnement (TOXEN), Monique Boily, qui plaide pour que les gouvernements encouragent et soutiennent davantage « une agriculture plus durable ». Elle-même est bien au fait des dommages causés par les contaminants sur diverses espèces en milieu agricole. Après une dizaine d’années d’études sur les effets des pesticides sur la grenouille et la perchaude, Monique Boily est « sortie de l’eau » pour étudier l’abeille.

     

    Avec des collègues, elle s’est d’abord penchée sur l’effet des insecticides de type néonicotinoïdes et de l’atrazine et du glyphosate, deux herbicides couramment utilisés en agriculture conventionnelle, sur la physiologie de l’abeille. Ces travaux, ainsi que les précédents qui avaient porté sur d’autres espèces, ont permis de développer des biomarqueurs. Le biomarqueur est une caractéristique biologique mesurable liée à un processus normal ou anormal et permet de détecter la présence de polluants.

     

    L’un de ces biomarqueur est la vitamine A qui est importante pour la vision, la croissance, le développement et la reproduction de l’insecte. «On a vu que certains herbicides comme l’atrazine et le glyphosate, le fameux Roundup de Monsanto, ont des effets aussi au niveau de la vitamine A de l’abeille et du métabolisme de cette vitamine. On ne connaît pas encore les mécanismes qui sous-tendent ces effets-là, on n’en connaît pas les causes, mais on sait qu’il y a des conséquences sur d’autres molécules », expose Monique Boily en entrevue.

     

    « C’est bien connu que, chez les vertébrés, quand on perturbe le métabolisme de la vitamine A lors du développement embryonnaire, cela peut engendrer des malformations. Et on voit la même chose chez les insectes en laboratoire… par exemple des pattes déformées chez la tique, illustre-t-elle. Même si ce sont des insectes, les molécules font les mêmes choses. Et même quand ce n’est pas exactement la même molécule, la fonction demeure, donc c’est intéressant de faire des parallèles. Oui, on est très différents, mais chimiquement, on a beaucoup de ressemblances ! »

    En général, « on n’a pas beaucoup d’information sur les effets possibles de ces herbicides comme l’atrazine et le glyphosate sur les abeilles. Et puis, comme contaminants agricoles, il y a aussi les métaux parce que dans plusieurs régions agricoles, les matières résiduelles fertilisantes (MRF) sont utilisées. Ce sont en fait des résidus qui proviennent des usines d’épuration, soit des papetières ou des municipalités, qui servent, après traitements [pour évacuer les bactéries et des polluants], d’amendement pour les sols », explique-t-elle.

     

    Métaux toxiques dans l’environnement

    Ces boues d’épandage coûtent peu cher, une dizaine de dollars la tonne. Elles sont analysées pour révéler leur teneur en nutriments liés à des métaux comme le calcium et le magnésium, par exemple. Le taux de métaux toxiques qui n’ont pas été filtrés lors du traitement des boues n’est toutefois pas analysé ou révélé aux agriculteurs, soutient la chercheure. Les MRF sont alors étendues dans les champs de cultures non destinées à la consommation humaine directe… mais nourrissent des animaux qui servent de nourriture aux humains.

     

    Les métaux, absorbés par les plantes, se retrouvent dans les tiges, les feuilles et le pollen avec lequel entrent en contact les différents pollinisateurs.

     

    « On se questionnait sur le cas de l’abeille… Oui, on sait qu’il y a des métaux qui sont toxiques et qu’elle peut les accumuler, mais si elle n’en meurt pas, est-ce que ça affecte sa physiologie ? Est-ce que ça l’affaiblit et quels sont les effets des métaux sur elle ? » C’est ce questionnement qui a guidé une nouvelle phase d’études sur des abeilles en laboratoire et en champs.

     

    La recherche a permis de découvrir que, comme les vertébrés, l’abeille sécrète la méthionine, une protéine qui permet de neutraliser l’effet du métal sur le corps, lorsqu’elle est intoxiquée au métal. « On voulait savoir si ça, ça existait chez l’abeille, si elle avait ce mécanisme-là pour se protéger. »

     

    En laboratoire, les abeilles ont été exposées à trois métaux (aluminium, plomb et cadmium. « Elles ont été exposées à des doses très faibles, très réalistes de ce qui se trouve dans l’environnement et déjà, on voit qu’il y a des effets », affirme Monique Boily. Par exemple, l’aluminium engendre un stress oxydatif chez l’abeille, c’est-à-dire un débalancement qui attaque les cellules. D’autres résultats sont présentement en analyse et permettront de faire des liens entre les différents effets des contaminants et le déclin des populations d’abeilles. Les résultats des études sur le terrain sur des abeilles trouvées dans des champs avec des conditions de culture différentes (biologique, avec boues d’épandages, etc.) enrichiront également les résultats à venir.

     

    Le « gros bateau » de l’agriculture

    Et si la chercheure avait des recommandations à faire au milieu agricole ? Elle soupire, consciente que faire changer les pratiques en agriculture est très difficile. Pour les MRF, par exemple, « on devrait demander de meilleures analyses », argue-t-elle. «C’est sûr qu’on ne peut pas, du jour au lendemain, dire qu’on bannit tous les produits, traitements et fertilisants et penser que l’agriculture va bien se porter… C’est un gros bateau à faire tourner de bord. Mais au-delà du bannissement d’un ou de deux produits, il reste que la manière dont on fait l’agriculture est problématique et c’est ça, ce n’est pas juste au Québec…»

     

    Monique Boily déplore justement que ces sujets n’occupent pas plus les discours publics. « Là, on est en campagne électorale et on n’en pas entend parler, ni d’environnement d’ailleurs, ni de politique agricole. Pourtant, il faut qu’il se fasse des avancées en ce domaine… »

     

    Monique Boily sera conférencière à la Maison du développement durable le 25 août prochain à 12h15. Sa conférence Les effets des contaminants agricoles sur l’abeille domestiquesera présentée dans le cadre d’un partenariat entre l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, la Maison du développement durable et le Conseil régional de l’environnement de Montréal. Informations à http://montreal.murmitoyen.com/detail/601137-les-effets-des-contaminants-agricoles-sur-labeille-domestique

     

    Source: GaïaPresse

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