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COP28 : la pression d'élus américains et européens s'accroît sur Dubaï



  • Plus de 130 parlementaires américains et européens demandent le retrait de la nomination d’un patron de l’industrie pétrolière pour présider la COP28 à Dubaï. Ce choix, comme celui d’organiser la prochaine conférence sur le climat aux Émirats arabes unis, l’un des premiers exportateurs de pétrole, a également suscité – à juste titre – de vives critiques parmi les experts du climat et les ONG.

     

    « Nous vous exhortons à faire pression pour que les Émirats arabes unis renoncent à la nomination de Sultan al-Jaber », écrivent plus de 130 élus du Congrès américain et du Parlement européen, exprimant leur « profonde inquiétude ». La lettre a été adressée le 23 mai au président américain Joe Biden, à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et au secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, ainsi qu’à Simon Stiell, secrétaire exécutif de l’ONU Climat. A Bruxelles, cette missive a été signée par 99 députés écologistes, de gauche et de centre-gauche.

     

    Dans leur lettre, les élus demandent également de limiter « l’influence des industries polluantes » dans ces réunions climatiques, déplorant une proéminence des lobbys. Ils rappellent qu’en 2022, 636 lobbyistes du secteur pétrolier et gazier ont été enregistrés à la COP27 en Égypte, soit 25 % de plus que l’année précédente, en 2021 à Glasgow, le contingent le plus nombreux venant d’ailleurs des Émirats arabes unis. « Nous ne pouvons pas laisser des intérêts particuliers créer davantage d’obstacles dans la course contre le changement climatique », a plaidé sur Twitter Sheldon Whitehouse, l’un des sénateurs américains les plus engagés sur les questions climatiques.

     

    Une nomination critiquée par les ONG

     

    La nomination de Sultan Ahmed al-Jaber, ministre émirati de l’Industrie et patron du géant pétrolier ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company), pour présider la conférence de l’ONU sur le climat prévue fin 2023, a déjà été vivement critiquée en janvier par une centaine d’ONG. « La nomination de Sultan Ahmed al-Jaber à la présidence de la COP28, alors qu’il occupe le poste de PDG de la compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi constitue un conflit d’intérêts scandaleux », a ainsi réagi Harjeet Singh, de l’organisation Climate Action Network International. « La menace constante des lobbyistes des combustibles fossiles lors des négociations climatiques de l’ONU a toujours affaibli les résultats de la conférence sur le climat, mais cette situation atteint un autre niveau dangereux et sans précédent », a ajouté l’expert mondial des impacts climatiques.

     

    Cette nomination « équivaut à nommer le PDG d’un groupe de tabac pour superviser une conférence sur les cancers », a tancé Zeina Khalil Hajj, responsable de l’ONG 350.org. « Cela risque de compromettre l’ensemble des avancées de l’ONU sur le climat ». Pour Teresa Anderson, d’ActionAid, « cela va plus loin que confier au renard la charge du poulailler ». L’ancienne cheffe de l’ONU pour le climat, Christiana Figueres, souligne de son côté que « l’Agence internationale de l’énergie a été parfaitement claire en disant qu’il n’y a plus de place dans l’atmosphère pour y mettre davantage de pétrole, de gaz ou de charbon ».

     

    Également « envoyé spécial pour le changement climatique » des Émirats à l’ONU et dirigeant de Masdar, l’entreprise publique d’énergies renouvelables, Sultan Ahmed al-Jaber, 49 ans, premier PDG à présider une COP, défend « une approche pragmatique, réaliste et axée sur les solutions ». Mais ses prises de parole ressemblent à un grand écart permanent, entre les intérêts économiques que représentent le pétrole pour son pays et pour l’entreprise qu’il dirige, et sa volonté, affichée de lutter contre le dérèglement climatique. En ouverture de la conférence pétrolière annuelle Apidec en 2021, Al-Jaber plaidait ainsi pour « investir 600 milliards de dollars tous les ans dans le pétrole jusqu’en 2030, pour satisfaire la demande mondiale attendue… Le gaz et le pétrole restent les plus grandes énergies du mix énergétique et le seront pendant des décennies. On doit progresser, avec pragmatisme. On ne peut pas simplement débrancher le système d’aujourd’hui ».

     

    Les Émirats arabes unis, 4e plus grand pollueur mondial

     

    L’inquiétude des experts du climat et des militants de l’environnement est d’autant plus légitime que les Émirats arabes unis sont loin d’être un bon élève en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Même si le pays s’est engagé à atteindre la neutralité carbone en 2050, en misant sur les technologies de capture de carbone et les énergies vertes, il figure aujourd’hui parmi les principaux exportateurs de pétrole au monde. C’est grâce à cette énergie fossile que la pétromonarchie a connu une croissance fulgurante depuis les années 1970. Selon la Banque mondiale, le pays est classé quatrième plus grand pollueur au monde par habitant en 2019… Et selon le Global Carbon Budget 2022, il fait partie des cinq plus gros émetteurs de CO2 par habitant de la planète (20,4 tonnes par an et par personne). Tout juste devancé par le Qatar (32,6 tonnes), le Koweït (24,5) ou Brunei (23,7), mais très loin de l’objectif de 2 tonnes d’émission de gaz à effet de serre par personne nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. A titre de comparaison, les Français en sont à 4,5 tonnes de CO2 rejetées par personne et par an en moyenne, ce qui est déjà trop élevé au regard des objectifs climatiques.

     

    Les Émirats arabes unis ont certes tenté de se défaire de leur image d’énorme pollueur, essayant d’apparaître comme le pays le plus proactif du Golfe en matière d’action climatique... Mais l’État dépend toujours en grande partie de la production de pétrole et de gaz, et fait partie « du groupe des pays arabes, représenté par l’Arabie saoudite, qui a la réputation de bloquer les négociations », comme l’explique Aurore Mathieu, responsable « politiques internationales » du Réseau action climat. Le pays plaide pour des solutions technologistes, comme l’absorption et le stockage de CO2 par des usines, plutôt que pour une baisse réelle des émissions à la source. De « fausses solutions » selon Aurore Mathieu, qui représentent « un vrai danger de repousser l’action climatique ». Or, le réchauffement climatique est un sujet particulièrement important pour les pays du Golfe où les températures frôlent parfois les 50 degrés en été. Selon une étude publiée en 2021, certaines régions pourraient ainsi devenir invivables d’ici la fin du siècle.

     

    « L’attribution de la COP28 aux Émirats et en l’occurrence à Dubaï est un symbole très important, qui s’inscrit dans un contexte global où les pétromonarchies du Golfe cherchent à rejoindre les standards internationaux et à décrocher des événements mondiaux », estime Sébastien Boussois, chercheur associé à l’Université Libre de Bruxelles, spécialiste des pays du Golfe. « Il y a à la fois un côté greenwashing, pour se présenter aux yeux du monde comme un pays qui s’intéresserait aux énergies renouvelables, et un côté soft power, dans la mesure où ils cherchent à attraper de grands événements internationaux pour faire de Dubaï et des Émirats une vitrine acceptable d’un pays autoritaire ».

     

    Peut-on à la fois défendre l’utilisation d’énergies fossiles et la lutte contre le réchauffement climatique ? Le patron d’un géant pétrolier est-il le mieux placé pour préparer l’après-pétrole ? L’un des pays les plus émetteurs de CO2 de la planète est-il le meilleur endroit pour fixer les prochains objectifs mondiaux de réductions des émissions ? Poser ces questions, c’est peut-être y répondre.  

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