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Bioéthanol : les langues se délient…


Communiqué de la Confédération paysanne, le 29 juillet 2009

Depuis 2005, la Confédération paysanne dénonce l'impasse que constitue le développement des filières industrielles de production d'agrocarburants et le bilan énergétique particulièrement médiocre des filières éthanol. Notre analyse se trouve aujourd'hui confortée suite à la participation d'un de nos adhérents à l'étude post Grenelle ADEME/ Bio IS sur les bilans énergétiques et environnementaux des agrocarburants. Cette analyse, dont une synthèse est jointe en annexe, sera présentée lors d'une conférence de presse organisée en septembre au siège du syndicat.

Malgré nos avertissements, de nombreuses coopératives se sont engagées dans les projets de production d'éthanol de céréales (BENP - Téréos à Lillebonne, ABENGOA à Lacq et CRISTANOL 2 à Bazancourt), encourageant les producteurs à signer des engagements de livraison assortis le plus souvent de souscriptions de parts sociales, ceci avec l'appui des Chambres d'Agriculture et de certains représentants professionnels

Depuis quelques jours, des salariés dirigeants de certaines de ces coopératives montent au créneau pour dénoncer l'absence de rentabilité, actuelle et à venir, des filières éthanol de céréales, ne permettant pas aux producteurs d'espérer une valorisation intéressante des volumes engagés. Ainsi, Jean Pierre Cochet, directeur général de la coopérative de Champagne-Ardenne Cohésis, lourdement engagée dans le projet CRISTANOL 2 de Bazancourt ( 10% de sa collecte de blé pendant 10 ans) s'interroge sur la pérennité de ce projet face à la perspective de la baisse de la " défiscalisation " de l'éthanol, qui représente une subvention très importante pour cette filière, et de sa mise en concurrence avec l'éthanol de canne à sucre, produit avec une efficacité énergétique beaucoup plus forte.

ORAMA, filiale spécialisée Grandes Cultures de la FNSEA, en est aujourd'hui réduite à demander la mutualisation de l'approvisionnement des usines d'éthanol, ceci pour faire supporter à l'ensemble des producteurs les conséquences de choix politiques inappropriés dont elle a été l'un des principaux artisans.

La Confédération paysanne formule le voeu que cette affaire, dont le dénouement est proche, serve de leçon à chacun, et notamment aux décideurs politiques, parfois trop prompts à donner raison à des groupes de pression, sans prendre le temps d'étudier les avis contraires.

Argumentaire :

Bilans énergétiques et environnementaux des agrocarburants: synthèse de l'étude post - Grenelle.

La seule décision concernant les agrocarburants obtenue lors du Grenelle de l'Environnement a été de donner mandat à l'ADEME pour réaliser une étude " exhaustive et contradictoire " sur les bilans énergétiques et environnementaux des agrocarburants aujourd'hui utilisés en France, ou en passe de l'être. Cette étude a été divisée en deux phases, confiées toutes deux au bureau d'études Bio Intelligence Service sensé s'appuyer sur un comité technique composé d'une trentaine " d'experts " dont deux représentants des ONG. Parmi ces deux représentants, un adhérent de la Confédération paysanne était présent au titre du Réseau Action Climat - France, puis de France Nature Environnement.

La première phase, méthodologique, s'est terminée en avril 2008 par la livraison d'un outil de calcul et d'un référentiel donnant des recommandations sur la façon d'établir les bilans. La deuxième phase de collecte des données actualisées et de calcul des bilans a démarré en octobre 2008 et est aujourd'hui officiellement terminée. Le rapport final de Bio IS est parti à l'analyse critique confiée au bureau d'études suisse Ecointesys.

Sans attendre les résultats de ce travail, l'ADEME nous a déjà prévenus qu'elle communiquera de façon positive sur les bilans des agrocarburants durant la semaine de la mobilité, et avec elle les autres structures du Comité de Pilotage " encadrant " l'étude (MAAP , MEEDDAT, ONIGC, IFP). Le message sera évidemment relayé de façon tonitruante par les industriels des agrocarburants et la FNSEA...

Nous avions senti l'étude déraper dès mars 2009, le bureau d'études et l'ADEME faisant la sourde oreille à nos remarques et nos propositions, malgré le caractère manifeste de certaines des escroqueries intellectuelles que nous dénoncions.

Le 14 mai, nous avons eu droit à une première livraison de résultats partiels, qui donnaient des bilans très médiocres malgré des calculs déjà très significativement orientés ( filières pétrolières très chargées, sur-allocation aux coproduits destinés à l'alimentation animale très importante, en particulier pour les éthanols de céréales, coûts de culture de la betterave fortement minorés...). Les filières ETBE ( Ethyl tertio buthyl éther, dérivé de l'éthanol représentant l'essentiel des volumes incorporés à l'essence) n'ont pas été présentées, car il manquait encore des données à Bio IS pour effectuer l'Analyse de Cycle de Vie ( ACV). L'attitude sereine et détendue des représentants des industriels des agrocarburants, malgré la teneur des résultats présentés, laissait à penser qu'ils s'étaient assurés de maîtriser la suite des opérations.

Effectivement, les résultats finaux présentés le 18 juin étaient conformes aux desiderata des partisans des agrocarburants. Entre ces deux dates, Bio IS a fortement minoré les émissions de protoxyde d'azote ( réduction de 20% du facteur de conversion N/N²O par rapport à la proposition du rapport de l'étude méthodologique, et réduction de 52% de la composante N²O des émissions liées à la synthèse d'engrais azoté en usine), n'a plus pris en compte les coûts spécifiques de l'étape d'incorporation ( impacts de la reformulation des bases pétrolières à additiver notamment) et accentuer le tripatouillage sur les autres calculs, autant que nécessaire.

A noter qu'entre le projet de rapport final du 18 juin et le rapport final définitif envoyé à la revue critique, Bio IS a encore retouché ses calculs pour parvenir à dépasser la barre fatidique de 35% d'émission de Gaz à Effet de Serre (GES) par rapport aux carburants fossiles de référence dans tous les cas, y compris l'ETBE. A cette fin, Bio IS a dû minorer la pénalité effet de serre de l'incorporation sous forme d'ETBE, la faisant passer de 24 à 22 g équivalent CO²/MJ d'éthanol. La directive européenne " Energies Renouvelables ", adoptée à l'arraché à la fin de la Présidence Française de l'Union Européenne en décembre 2008, prévoit en effet que seuls les agrocarburants permettant une réduction de 35% des émissions de GES par rapport aux filières fossiles seront pris en compte pour juger de l'atteinte des objectifs assignés aux états membres, et éligibles aux aides. A noter toutefois que les industriels des agrocarburants ont obtenu que les unités en fonctionnement au 1er janvier 2008 soient exonérées de toute obligation de résultat en matière de réduction des émissions de GES jusqu'en 2013...

Le représentant de TOTAL a déjà signifié à deux reprises à l'ADEME que son groupe ne cautionnera pas l'étude, Bio IS ayant attribué aux filières de carburants fossiles des charges énergétiques et effet de serre majorées d'environ 15%.

Des erreurs très significatives et impactantes sont assez facilement identifiables dans le rapport final de Bio IS, en plus des fraudes sur les émissions de N²O, ceci malgré le caractère opaque de ce rapport, certaines hypothèses calculatoires n'étant pas explicitées.

Par exemple, pour les filières éthanol de céréales, Bio IS, à la demande des industriels, considère qu'une partie très substantielle de la vapeur issue des fours de séchage des drêches n'est pas recyclée dans le procédé. Oralement, lors des réunions du comité technique, Bio IS avait parlé de 40% de la puissance des fours de séchage à n'imputer qu'aux drêches seules, car non recyclée. Après vérification dans le rapport final définitif, Bio IS a retenu 63% de cette puissance pour les drêches de blé, et même prés de 75% pour les drêches de maïs, ce qui correspond à des quantités de vapeur perdues absolument considérables, alors que dans toutes les études précédentes ( y compris ADEME - DIREM 2002), il avait été considéré que la totalité de la vapeur issue des fours de séchage des drêches était recyclée dans le procédé, ce qui correspond évidemment à la réalité. Personne ne peut effet imaginer qu'un industriel laisse partir à l'atmosphère des quantités importantes de vapeur alors qu'il a des gros besoins de chaleur à couvrir par ailleurs. Il m'arrive en outre assez fréquemment de passer aux abords de l'usine Téréos de Lillebonne, et je constate à chaque fois que les émissions de vapeur sur le site sont faibles. Je pense que les riverains de l'usine ABENGOA de Lacq peuvent faire la même constatation.

Cette manipulation, et quelques autres, conduit à transférer de façon massive les coûts de procédé industriel sur les coproduits secondaires utilisés en alimentation animale, déchargeant d'autant les bilans de l'agrocarburant. En conséquence, la comparaison des bilans ainsi obtenus pour les agrocarburants avec ceux des carburants d'origine pétrolière n'a plus aucune signification, puisque les coproduits utilisés en alimentation animale se voient allouer des impacts énergétiques et effet de serre sans commune mesure avec ceux nécessaires à la production et la mise à disposition des aliments du bétail remplacés.

A partir des données fournies dans le rapport final de Bio IS, il est possible de recalculer de façon approchée le bilan énergétique et effet de serre de l'éthanol de blé en corrigeant quelques unes des dérives calculatoires de Bio IS.

Carburant Ethanol de blé en mélange direct Ethanol de blé sous forme d'ETBE Essence de référence

(Bilans Bio IS) Essence de référence

(Bilans JRC 2008)

MJ fossile

Par MJ 1,02

MJ fossile/

MJ d'éthanol 1,35

MJ fossile/

MJ d'éthanol 1,22 1,14

Gramme équivalent CO²/MJ 72,7

g éq CO²/

MJ d'éthanol 88,3

g éq CO²/

MJ d'éthanol 102 87

A noter que les valeurs trouvées pour l'éthanol sont optimistes, puisque par exemple le poste lubrifiants - entretien - amortissements énergétiques n'a pas été pris en compte.

Le gain en terme d'émissions de GES par rapport à l'essence n'est que de 6% pour l'éthanol en mélange direct, et de - 1,5% pour l'éthanol sous forme d'ETBE...

Avec une efficacité énergétique inférieure à 1, l'éthanol de blé ne peut être qualifié d'énergie renouvelable. A priori, les éthanols de maïs et de betterave ne peuvent se prévaloir de meilleurs bilans, pour des raisons assez faciles à comprendre.

Pour l'Ester Méthylique d'Huile Végétale (EMHV) de colza, Bio IS annonçait le 14 mai 0,586 MJ fossile / MJ, soit une efficacité de 1,7 seulement, et 62,5 g éq CO²/MJ, soit 29% de moins que la valeur donnée pour le gasoil par le JRC.

Dans son rapport final, Bio IS parvient toutefois à trouver 0,456 MJ fossile et 38,3 g éq CO² par MJ de Diester...

Le chiffrage précis des effets du changement d'affectation des sols (CAS) direct ou indirect sur les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) est le seul point pour lequel les représentants des ONG ont obtenu satisfaction, même si Bio IS a tenté d'en réduire la portée par divers artifices.

Dans le cas de l'EMHV de colza par exemple, l'effet du CAS indirect amorti sur 20 ans atteint 147 g équivalent CO²/ MJ d'ester, même en tenant compte de la valorisation du bois d'oeuvre issu de la déforestation, ce qui propulse l'indicateur effet de serre du Diester au double de celui du gasoil remplacé.

A noter que l'Huile Végétale Pure de colza utilisée en circuit court par les agriculteurs ne présente pas un impact effet de serre tellement meilleur. D'une façon général, le prise en compte du CAS dégrade très sensiblement les bilans effet de serre de tous les agrocarburants, même ceux produits à partir de matières premières provenant des pays du Sud, aucun ne présentant un impact effet de serre moindre que celui des carburants d'origine fossile remplacés. Seuls les scénarios de CAS optimistes, c'est à dire ceux pour lesquels la mise en culture concerne des zones très dégradées pauvres en matière organique, conduisent à un impact positif en terme de réduction des émissions de GES.

Le combat pour la manifestation de la vérité sur les bilans énergétiques et environnementaux des agrocarburants n'est pas terminé.

Patrick Sadones, EDEN, Confédération paysanne.

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