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La route cahoteuse vers Addis (FdD3): enjeux pour les droits des femmes


À quelques jours de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement (FdD3), qui débutera le 13 juillet à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, les gouvernements au siège des Nations Unies à New York sont toujours plongés dans les négociations autour du document final. Au beau milieu de cette incertitude, une chose est sûre : les décisions qui seront prises à Addis façonneront le paysage des quinze prochaines années en matière de financement du développement, notamment le financement des droits des femmes, de l’égalité de genre et des objectifs de développement durable (ODD), dont il sera convenu en septembre 2015 à l’Assemblée générale de l’ONU. 

Par Ana Ines Abelenda[1] 

Des enjeux élevés pour l’égalité de genre et les droits des femmes 

S’il existe un consensus mondial sur le fait que l’autonomisation des femmes et l’égalité de genre sont essentielles au développement humain et à la durabilité,  cela ne veut pas dire que les gouvernements accompagnent toujours leurs engagements et obligations du financement et des politiques nécessaires. 

L’issue de la Conférence d’Addis contribuera soit à concrétiser la justice économique et à promouvoir les droits humains pour tou-te-s, soit à ancrer davantage les violations des droits humains et exacerber les inégalités de genre. Il est donc très important pour toutes les personnes préoccupées par les droits humains des femmes et de tous les êtres, que les politiques adéquates soient mises en place pour contribuer au développement durable, plutôt que pour le saper. 

La conférence s’adresse aux organisations féministes et œuvrant pour les droits des femmes en tant qu’agentes actives de changement, coopérant au sein de coalitions, afin qu’elles fassent pression en faveur de changements systémiques qui s’imposent d’urgence. Les enjeux sont élevés et un grand nombre de représentant-e-s de la société civile restent à l’affût d’avancées potentielles malgré un scénario complexe. Cette conférence est aussi cruciale pour demander des comptes dans le cas des violations des droits humains, notamment le manque de services essentiels. Le manque de ressources publiques prive généralement de larges pans de la population d’accéder à une éducation de qualité, aux soins de santé et à la protection sociale, les femmes étant les plus durement touchées par les différentes formes intersectionnelles d’oppression auxquelles elles sont confrontées. 

Quelques-unes des questions les plus controversées

L’un des aspects les plus controversés de la Conférence FdD3 est le rôle de premier plan actuellement accordé au secteur privé en ce qui concerne le financement, que ce soit sous la forme d’investissements directs ou via des partenariats public-privé. Cette tentative d’ « externaliser » les engagements en matière de développement de l’État vers le secteur privé est très problématique, en particulier dans la mesure où il n’existe pas de mécanismes correspondants mis en place obligeant à rendre des comptes de façon contraignante, si ce ne sont les principes volontaires des Nations Unies. Ce phénomène se retrouve également dans les débats actuels sur les moyens de mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD), qui sont inextricablement liés au processus de la FdD3. 

Les dynamiques nord-sud qui émergent entre le groupe G77[2] Chine et le bloc nord sur différentes questions pourraient jouer un rôle déterminant pour  définir qui règlera la note du développement durable. Plusieurs pays en voie de développement du G77 ont demandé l’intégration du principe de responsabilités communes mais différenciées (common but differentiated responsibilities,  CBDR), qui provient du processus de développement durable de Rio92. Ce principe soutient que les pays développés, qui portent une plus grande part de responsabilités dans les crises environnementales, doivent aussi prendre l’initiative et agir pour résoudre les problèmes, notamment par des moyens financiers. Mais la majorité des pays développés s’opposent à l’intégration de tels principes, affirmant que le CBDR ne peut pas être un des principes directeurs du programme de financement du développement. 

L’accroissement des recettes publiques par voie d’imposition est un autre sujet crucial et litigieux de la FdD3, qui se rattache par ailleurs à la lutte contre les flux financiers illicites et l’évasion fiscale pratiquée par des acteurs clés, dont des sociétés transnationales. Une proposition visant à avoir un organisme de coopération fiscale internationale sous les auspices des Nations Unies a été soumise à débat, mais non sans controverse. La création d’un organisme fiscal international sous l'égide de l'ONU, où tous les pays pourraient avoir leur mot à dire, suscite la résistance des pays développés, qui préfèreraient voir l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) mener les négociations internationales en termes d’impôts, ce qui aurait pour effet d’exclure la plupart des pays en développement de la prise de décisions concernant des politiques qui les affectent directement. 

Un autre problème persiste encore, à savoir le manquement des pays développés à tenir leurs engagements en matière d’Aide publique au développement (APD),  et leur refus de convenir de calendriers clairs. De plus, le montant de l'APD destiné à l'égalité de genre et aux droits des femmes est au plus bas et il devra être accru et assorti de délais concrets pour l’accroissement du financement. L’APD doit continuer d’être un moteur dynamique de promotion en termes d’égalité de genre et d’autonomisation des femmes à une échelle mondiale. Pour ce faire, il conviendrait de cibler et d’intégrer des allocations croissantes définies dans tous les secteurs, et de s’appuyer sur des mécanismes de suivi précis afin de s’assurer que les secteurs sous-financés ne souffrent d’aucune lacune.     

Tous ces sujets sont primordiaux pour s’assurer que des ressources soient disponibles à la réalisation des droits humains, y compris des droits des femmes, et que ces questions soient soulevées de façon à ne pas négliger la redistribution des richesses.    

Les messages clés de l’AWID

  • La FdD3 doit veiller à ce que tout projet mené par le secteur privé ou sous forme de partenariat public-privé (PPP) dispose de mécanismes de responsabilisation, conformément aux normes et règles en matière des droits humains, y compris des mesures de protection environnementale et sociale. Il importe de convenir ex-ante de délais en ce qui concerne les rapports et les évaluations, et de garantir la pleine participation des communautés affectées, notamment les femmes et les filles, les communautés autochtones et les personnes victimes d’une discrimination structurelle.
  • Le Conseil des droits de l’homme devrait clairement établir une référence à la résolution de juin 2014 visant à créer un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises commerciales par rapport aux droits humains (A/HRC/26/L.22).
  • La conférence d’Addis doit revaloriser le rôle du secteur public et s’assurer que les pays en développement disposent de l’espace politique nécessaire pour la régulation des activités du secteur privé au niveau national. À cet égard, il est déterminant de mettre fin aux conditionnalités politiques car elles compromettent le droit au développement. Une mise en œuvre réelle du principe d’appropriation démocratique requiert l’espace politique démocratique nécessaire, et insistera sur le fait que les parlements nationaux et la société civile, y compris les organisations des droits des femmes, ont leur mot à dire à l’heure de définir les stratégies de développement.
  • Les systèmes fiscaux équitables et progressifs à l’échelle nationale sont essentiels à la mobilisation du maximum de ressources disponibles pour promouvoir les droits humains, notamment en ce qui concerne l’accès à des services publics adéquats. Un organisme fiscal inter-gouvernemental sous l’égide de l’ONU où seraient représentés tous les pays – indépendamment de leur pouvoir économique – devrait être créé afin de permettre l’échange automatique d’informations en matière fiscale, notamment l’évaluation de l’incidence négative des flux financiers illicites, de l’évasion fiscale des entreprises et des politiques fiscales régressives.
  • L’égalité de genre est un droit humain, une valeur et un sujet de justice social fondamentaux. Nous rejetons l’approche qui consiste à réduire les femmes à un argument commercial, soit qu’il n’y aurait aucun intérêt à concrétiser l’égalité de genre, l’autonomisation des femmes et les droits des femmes s’il n’y avait aucun avantage économique à en espérer. Garantir la pleine réalisation des droits des femmes et de tous les êtres devrait être une fin en soi, non pas un instrument destiné à améliorer la rentabilité et la compétitivité des entreprises.
  • Les gouvernements doivent tenir les engagements et obligations publics de financement internationaux, notamment en ce qui concerne l’APD. La part de l’APD destinée à la réalisation de l’égalité de genre, à l’autonomisation des femmes et aux droits humains des femmes en général devrait être augmentée, assurant une hausse chaque année dont il faudra convenir du niveau. Par ailleurs, l’APD allouée aux programmes pour l’égalité de genre indépendants devrait être revue à la hausse, avec une portion suffisante allouée directement aux organisations de femmes.  
  • Les États devraient s’engager à respecter, protéger et réaliser les droits humains des femmes et soutenir leurs engagements existants envers l’intégration du genre dans la formulation et la mise en œuvre des politiques de développement. Cela comprend de financer le développement à tous les niveaux et dans tous les secteurs, et d’accepter de mettre en œuvre des politiques visant à garantir le plein accès des femmes aux ressources économiques et leur contrôle sur ces dernières.
  • Globalement, la FdD3 doit prendre la bonne direction vers l’établissement d’économies justes et saines qui soient susceptibles de constituer la base d’un monde où le respect, la protection et la réalisation des droits humains seraient une réalité pour tou-te-s. Cela peut être fait par la résolution explicite d’incohérences politiques mondiales et de déséquilibres de pouvoir, y compris ceux en matière de commerce, de gouvernance économique mondiale, d’impôts et de dette, tous ces éléments ayant des incidences genrées. 
  • Bien qu’étroitement liés, les processus du FdD et de l’après-2015 devraient disposer de mécanismes de suivi indépendants. Le FdD est le seul processus au sein du système des Nations Unies à traiter de manière exhaustive les sujets systémiques, qui sont une condition sine qua none à la création du cadre de financement approprié pour la mise en œuvre du programme de l’après-2015/des ODD, mais aussi au-delà, pour générer les conditions structurelles de mise en œuvre d’autres programmes, tels que Beijing (1995) et Le Caire (1994). Nous incitons donc le FdD à conserver son autonomie dans le processus de suivi. 

De façon générale, les gouvernements doivent assurer un environnement favorable et sûr aux OSC, notamment pour les défenseuses des droits humains, et cela devrait se traduire par une participation substantielle au niveau local, national et international et dans toutes les étapes du processus de développement (planification, mise en œuvre, suivi et évaluation). 

Un document final approuvé 

À l’heure où nous écrivons cet article, il est encore difficile de connaître la teneur du texte du document final de la conférence FdD3, intitulé « Addis Ababa Accord » (Accord d’Addis-Abeba), qui est toujours en cours de négociations à New York.[3] Des sujets controversés, y compris ceux que nous avons abordés antérieurement, demeurent non résolus ; les gouvernements imposent en effet chacun leurs points de vue respectifs, et nous ignorons encore si le document final sera terminé d’ici la conférence ou s’il demeurera ouvert pour modifications lorsqu’il sera introduit à la conférence officielle FdD3 le 13 juillet à Addis. Vérifiez si une nouvelle version du document final est disponible, auquel cas elle sera téléchargeable ici

Quelle participation des organisations de femmes à la FdD3 ? 

En ce qui concerne le processus de la FdD3, l’AWID a travaillé majoritairement avec des allié-e-s féministes au sein du Women’s Working on Financing for Development (Groupe de travail des femmes sur le financement du développement)[4] dans le but de placer l’égalité de genre et les droits des femmes au cœur des débats de la conférence sur le FdD dès les débuts de sa phase préparatoire, et nous avons aussi participé et contribué aux efforts ainsi qu’au travail de l’ensemble du groupe des OSC sur le FdD.

Des défenseur-e-s féministes et des organisations de droits des femmes issu-e-s de différentes régions impliqué-e-s dans ce processus se réuniront à Addis le 10 juillet pour le Forum des femmes. Cette réunion, qui visera à mettre en place des stratégies pour les jours suivants et à élaborer des positions communes, est organisée par le Women’s Working on Financing for Development en collaboration avec FEMNET, le Fonds Africain pour le Développement des Femmes, la Post-2015 Women’s Coalition (Coalition des femmes pour l’après-2015), et avec le soutien de ONU Femmes. 

Les organisations de la société civile, notamment les groupes de droits des femmes, se rassembleront elles aussi à l’occasion d’un Forum des OSC qui se tiendra les 11 et 12 juillet à Addis. Le but du Forum des OSC est, entre autres, d’informer les participant-e-s de l’état d’avancement du processus officiel et d’élaborer une déclaration collective ainsi que des messages des OSC en vue des tables rondes organisées dans le cadre de la Conférence sur le FdD. 

Comment vous tenir informé-e-s et vous impliquer

Explorez le calendrier de l'AWID de la conférence FdD pour de plus amples renseignements sur le processus actuel du financement du développement.

Suivez ici les dernières couvertures de l’AWID sur le FdD  ainsi que via twitter et facebook.

Regardez les deniers documents produits par le Women’s Working on Financing for Development et le Groupe de la société civile (les deux sites sont disponibles en anglais uniquement) sur la voie qui les mène à Addis.

 

[1]Avec les contributions d’Anne Schoenstein, Nerea Craviotto et Susan Tolmay

[2]Le Groupe des 77 est la plus grande organisation intergouvernementale des pays en voie de développement au sein des Nations unies, qui donne les moyens aux pays du Sud d’articuler et de promouvoir leurs intérêts économiques collectifs et renforcer leur capacité commune de négociation sur toutes les grandes questions économiques internationales dans le système des Nations Unies, et de promouvoir la coopération Sud-Sud pour le développement.

[3]La troisième séance de rédaction du document final était officiellement programmée du 15 au 19 juin 2015. Les réactions et les déclarations du Groupe de travail des femmes sur le financement du développement et le groupe des OSC sur le FdD dans son ensemble au sujet des projets du document final et des discussions y afférentes sont disponibles respectivement sur ces sites : http://wwgonffd.org/ et https://csoforffd.wordpress.com/cso-collective-responses/

[4] AWID est l’un des co-facilitateurs du Women’s Working on Financing for Development, aux côtés de Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN) et the Feminist Task Force (FTF). 

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