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Renforcer les systèmes agricoles au service de la nutrition


Alors que le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire ne cesse d’augmenter, et que la pandémie de Covid-19 a particulièrement accentué ce phénomène et révélé au grand jour les défaillances de nos systèmes alimentaires, le Gret conduit depuis 2018 une réflexion collective sur les passerelles à établir entre agriculture et nutrition pour une sécurité alimentaire durable.

Le programme Asanao, développé par le Gret et ses partenaires avec l’appui de l’Agence française de développement (AFD), de l’Union européenne et de la coopération monégasque, contribue depuis 2018 à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations de cinq pays d’Afrique de l’Ouest : le Burkina Faso, la Guinée, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal. Il se focalise notamment sur une meilleure articulation entre la couverture des besoins alimentaires des différents membres des familles d’une part, et sur l’augmentation et la durabilité de leurs revenus et de leurs productions d’autre part. Dans ce cadre, le Gret agit également en faveur de systèmes alimentaires plus sains et durables afin que l’environnement alimentaire des ménages soit amélioré, notamment via le soutien aux politiques publiques favorables à l’émergence de filières valorisant des produits locaux diversifiés, l’amélioration de l’accès physique à des aliments sains, et le renforcement des connaissances et de l’information des consommateurs sur leurs valeurs nutritionnelles et l’importance d’une alimentation équilibrée.

Pendant la première phase du programme (2018-2021), le Gret a pu conduire une réflexion collective sur les passerelles à établir entre agriculture et nutrition. Cette réflexion s’est axée sur la réalisation de diagnostics intégrés, de capitalisation des actions menées, de renforcement de capacités de ses équipes et partenaires (organisations paysannes, interprofessions, petites entreprises de transformation, etc.), ainsi que sur le montage de nouveaux projets en Afrique de l’Ouest et dans d’autres géographies (Haïti, Madagascar, Asie du Sud-Est). Quatre webinaires ont été organisés début 2021 pour partager les leçons apprises et tirer des enseignements pour la suite de la mise en œuvre du programme.

 

Décloisonner les savoirs et développer les synergies pour promouvoir des régimes alimentaires sains

Les diagnostics relatifs à la nutrition menés localement dans les premiers mois du programme ont soulevé différents questionnements. Il a ainsi été souligné la difficulté d’obtenir des indicateurs fiables au niveau territorial pour établir une situation alimentaire et nutritionnelle des habitant%u2219e%u2219s de la zone. En effet, certains indicateurs sont disponibles uniquement au niveau national, et ne permettent pas de cerner les disparités au niveau local, comme par exemple au Sénégal où les données de production céréalière sont disponibles uniquement au niveau départemental. Afin de pallier ce problème, les équipes du programme ont insisté sur l’identification des acteurs présents, de leur intérêt, compétences et capacités à agir sur la nutrition. Elle permet ainsi de dresser un panorama local et de co-construire une stratégie d’action ancrée dans le territoire et pérenne dans le temps.

Les diagnostics intégrant la nutrition pointent également du doigt des problèmes qui dépassent parfois le champ d’action du projet ou de la collectivité territoriale, tels que le manque d’accès physique aux marchés ou encore le manque d’accès aux soins. Ces enjeux requièrent une action plus large de l’État et des collectivités territoriales. Il est donc important de disposer de plateformes d’échanges ou de cadres de concertation permettant de favoriser un décloisonnement des actions des différents secteurs, au niveau départemental ou régional, pour que certaines actions qui relèvent de ces échelles territoriales puissent être engagées.

Agricultrice sur son périmètre maraicher, Sénégal © Gret

 

Par ailleurs, les actions menées ont montré l’importance de travailler avec les exploitations familiale sur des outils dédiés aux liens entre agriculture et nutrition, en s’appuyant sur le calendrier saisonnier des activités de production, de commercialisation, et en mettant en discussion les impacts alimentaires et nutritionnels de certains choix familiaux à différents moments. Ces outils, souvent rares, sont pourtant une base importante pour aborder des sujets déterminants comme la gestion du temps, la charge de travail et la gestion de l’économie au sein d’une exploitation familiale. Pour développer ce type d’outils et formaliser un langage commun, il est important de soutenir des démarches participatives, impliquant à la fois les organisations paysannes et les acteurs de la santé et de la nutrition. Les outils de sensibilisation proposés doivent donc être adaptés au contexte et accessibles à toutes et tous.

Enfin, et afin d’être capables d’intégrer les enjeux nutritionnels aux dispositifs d’appui-conseil agricole, les équipes sur place doivent être formées aux concepts de base en nutrition et alimentation équilibrée, de même que sur les liens entre agriculture et nutrition. Cela concerne aussi bien les animateur·rice·s qu’à plus large échelle les partenaires et les services de l’État. Pour ce qui est des questions d’alimentation familiale, promouvoir des sessions d’échanges entre pairs en complément de sessions de sensibilisation et de formations constitue une approche porteuse. L’acquisition de nouvelles connaissances tout comme l’échange entre participant·e·s sur des solutions aux problèmes communs permettent conjointement d’initier des changements dans les pratiques alimentaires et les choix de conduite de l’exploitation familiale. La posture des animateurs et animatrices est alors essentielle, tantôt en transmission de connaissances ou facilitation des échanges.

Séance de sensibilisation aux bonnes pratiques alimentaires, Burkina Faso © Gret

 

Les expériences présentées soulignent ainsi l’importance de conduire des activités d’accompagnement au changement de comportement, en complément de l’amélioration des connaissances et de l’appropriation des enjeux par les familles ciblées. De même, la compréhension des facteurs politiques, économiques ou socio-culturels qui s’avèrent bloquants à l’amélioration des régimes alimentaires est nécessaire pour arriver à les lever.

 

Mobiliser le secteur privé local : un levier pour répondre aux besoins nutritionnels spécifiques des femmes et des jeunes enfants

S’appuyer sur des dynamiques et des organisations existantes permet de s’assurer de la pérennité des actions engagées. Les associations locales accompagnant des groupes de paysan·ne·s doivent être impliquées lors de la planification, de la mise en œuvre et du suivi des activités. Favoriser leur mise en relation avec les structures de santé ou intervenant dans d’autres secteurs du développement permet aussi de s’assurer de travailler à la fois en complémentarité sur les questions d’alimentation et de santé, et dans la durée sur le changement des comportements.

En Afrique de l’Ouest, de nombreuses unités de production mettent sur le marché des farines infantiles locales fortifiées en vitamines et minéraux, formulées de façon à répondre aux besoins spécifiques des enfants de 6 à 24 mois dans le cadre de régimes alimentaires diversifiés et sains. Une étude récente menée dans le cadre du projet Filao « La filière des farines infantiles produites localement dans six pays sahéliens » et réalisée conjointement par le Gret, l’Iram et l’IRD, s’est penchée sur ces filières locales et a montré que la demande globale en farines infantiles du marché commercial pourrait s’élever à 10 000 tonnes annuelles en 2025, soit cinq fois plus qu’actuellement. Les farines infantiles fortifiées produites localement permettent de répondre en partie au besoin d’accessibilités physique et financière des ménages défavorisés à des aliments de complément. L’approvisionnement en matières premières nécessaires à la fabrication des farines infantiles est donc une réelle opportunité pour les organisations paysannes, notamment en terme de sécurisation des débouchés.

Une mère donnant à son enfant de la bouillie de farine infantile fortifiée, Burkina Faso © Gret

 

Actuellement, les unités de production de farines infantiles, du fait de leur faible capacité financière et de leur faible capacité de stockage, ont tendance à s’approvisionner chez les commerçant·e·s. Les achats se font au fur et à mesure des besoins, et la traçabilité ainsi que la qualité des matières premières ne peuvent être certifiées. Mettre en lien les organisations paysannes et les unités de production pour la production de farines infantiles permettrait non seulement de garantir un accès stable à un produit de qualité mais aussi d’ouvrir durablement un marché stable et rémunérateur. Afin que le lien entre les organisations paysannes et les unités de production soit une réussite, ces premières doivent être fidélisées par la fourniture de services (accès aux intrants, appui-conseil, etc.), par le renforcement de leurs capacités, par la mise en place de contrats précis, souples et assortis de cadres de concertation et par une rémunération équitable de tous les acteurs de la chaîne. Les unités de production doivent également être accompagnées pour mieux se structurer, prévoir leurs besoins, renforcer leur mode de distribution et développer la promotion de leurs produits pour créer la demande. Le renforcement de capacités doit également se faire au niveau de l’État, des laboratoires et des instituts de recherche afin de cadrer la qualité et d’aider les producteur·rice·s à pouvoir l’atteindre. Enfin, les farines infantiles locales de qualité sont aujourd’hui en concurrence directe avec des produits importés à moindre coût. Les structures de l’État doivent donc travailler à l’élaboration d’une législation afin d’assurer la pérennité des farines infantiles produites localement en encourageant, par exemple, les producteur·rice·s à se diriger vers la labellisation.

Séance de démonstration culinaire de plat familial équilibré
au Burkina Faso © Gret

 

Actuellement, outre la concurrence, les farines locales souffrent également d’un gros déficit de notoriété et, dans certains pays, la production de farines infantiles dépend largement des marchés institutionnels. Pour assurer la durabilité de cette filière, des actions de communication sont nécessaires afin de favoriser l’intégration des farines infantiles dans les habitudes alimentaires. Les États, ainsi que les entreprises privées ont là aussi un rôle à jouer car le marché institutionnel ne peut pas assurer à lui seul la durabilité de la filière des farines infantiles.

 

Dans le cadre de la seconde phase du programme Asanao lancée en avril 2021, le Gret vise à consolider une stratégie d’intervention sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle permettant de renforcer les dynamiques territoriales en cours et d’alimenter les réflexions et stratégies d’intervention des acteurs réunis au sein de cadres multisectoriels dans les pays. Il s’agira aussi, dans les pays où le Gret intervient, d’agir en faveur de l’amélioration des conditions d’existence de 90 000 personnes. De manière spécifique, les actions qui seront déployées permettront d’accompagner 15 000 ménages ruraux, 70 000 femmes, 5 000 enfants et de renforcer 180 organisations.

 

En savoir plus sur :

Découvrez la fiche thématique du Gret sur les liens entre agriculture et nutrition

Construire des liens durables entre agriculture et nutrition

Pour des systèmes alimentaires durables et favorables à la nutrition

Découvrez les deux premières notes de synthèse des webinaires organisés en 2021 :

La faim et la malnutrition ont gagné du terrain dans le monde ces dernières années avec près de 690 millions de personnes souffrants d’une carence alimentaire chronique et 140 millions d’enfants de moins de 5 ans de malnutrition. 45 % des décès d’enfants de moins de 5 ans sont dus à la malnutrition, soit 3,1 millions d’entre eux (FAO, 2019). La crise Covid-19 n’a fait qu’accentuer ce phénomène et révélé au grand jour les défaillances de nos systèmes alimentaires actuels, ainsi que leur incapacité à répondre aux enjeux : le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire et de la malnutrition sous ses différentes formes ne cesse d’augmenter depuis 2014, tandis que le poids des dégradations environnementales se fait de plus en plus ressentir (changement climatique, perte de biodiversité, désertification, déforestation, etc.).Les systèmes alimentaires sont définis par le Panel des experts de haut niveau (HLPE) du Comité pour la Sécurité alimentaire des Nations Unies (CSA) comme regroupant « l’ensemble des éléments (environnement, individus, apports, processus, infrastructures, institutions, etc.) et des activités liées à la production, à la transformation, à la distribution, à la préparation et à la consommation des denrées alimentaires, ainsi que du résultat de ces activités, notamment sur les plans socioéconomique et environnemental ». Agir sur les systèmes alimentaires pour les rendre plus durables et favorables à la nutrition doit permettre de garantir à chacun·e « la sécurité alimentaire et la nutrition sans compromettre les bases économiques, sociales et environnementales nécessaires à la sécurité alimentaire et à la nutrition des générations futures » (HLPE, 2014). Cela implique donc d’agir à la fois sur les facteurs (politiques, économiques, écologiques) qui conditionnent leur environnement, sur les chaînes d’approvisionnement et leurs acteurs, pour favoriser des pratiques agroécologiques, des modes de gouvernance équilibrés au sein des filières, et enfin sur les comportements des consommateurs pour qu’ils fassent des choix qui permettent de satisfaire les besoins nutritionnels des différents membres de la famille, notamment ceux des enfants de moins de 5 ans et des femmes enceintes et allaitantes.

 

Le contenu de cet article relève de la seule responsabilité du Gret et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant l’avis de l’Agence française de développement, de l’Union européenne et du gouvernement de la Principauté de Monaco.

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